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Image  Arnaud TOUATI, avocat associé, Co-fondateur du cabinet ALTO AVOCATS  et Thomas Le GOFF, étudiant en magistère

Le droit de la propriété intellectuelle permet-il de protéger un algorithme ?

Tech&droit - Start-up, Intelligence artificielle
04/07/2017
Peut-on protéger un algorithme
À l’origine du big data, des plateformes numériques et des nouveaux objets connectés, l’algorithme constitue aujourd’hui une création immatérielle des plus valorisées dans notre économie moderne. L’émergence des œuvres autonomes réalisées au moyen d’une créativité algorithmique contribue également à faire disparaître toute intervention humaine. De ce fait, son autonomie grandissante bouleverse nos fondamentaux juridiques encourageant ainsi le législateur à y établir un cadre juridique adapté pour son créateur. Mais l’algorithme est-il éligible à la protection du droit d’auteur ? Quelle protection accorder aux algorithmes ?
 
Aucune protection spécifique de l’algorithme par le droit de la propriété intellectuelle
Afin de comprendre au mieux la protection qui leur est applicable, il convient dans un premier temps d’exposer les contours de cette notion complexe. Un arrêté du 27 juin 1989 (Arr. 27 juin 1989, NOR : INDD8900398A, JO 16 sept.) relatif à l’enrichissement du vocabulaire de l’informatique le définissait comme « l’étude de la résolution de problèmes par la mise en œuvre de suites d’opérations élémentaires selon un processus défini aboutissant à une solution ».
 
Plus récemment, la loi n° 2017-1311 du 7 octobre 2016 (JO 8 oct.) dite pour une République numérique introduisait timidement cette notion dans le cadre de la définition d’une plateforme dans la mesure où celle-ci repose sur « le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ».
 
De ce fait, un premier constat ressort de ces définitions : la forme de l’algorithme s’avère difficile à concevoir ce qui compromet la question de sa protection juridique. En effet, assimilé à un principe informatique voire mathématique dans certains cas et donc au domaine des idées, l’algorithme semble exclu de la protection par droits d’auteur.
 
Quant à la protection par brevet, elle est à première vue proscrite au titre de l’article L. 611-10 du Code de la propriété intellectuelle, excluant expressément « les théories scientifiques, les méthodes mathématiques ainsi que les programmes d’ordinateur ». L’algorithme constitue donc, selon l’adage du professeur Henri Desbois, « une idée de libre parcours ».
 
Les pistes de solutions pour protéger un algorithme
Toutefois un algorithme est, par nature, destiné à être intégré dans un système informatique plus large. Sa protection peut ainsi être envisagée de manière indirecte : l’algorithme n’est alors pas protégeable en tant que tel, mais en raison de son intégration au code source d’un logiciel protégeable en vertu de l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle. Cette protection reste pour autant parcellaire puisque le logiciel incorporant cet algorithme doit aller au-delà de la simple exécution. À ce titre, un arrêt du 14 novembre 2013 rendu par la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 14 nov. 2013, n° 12-20.687) avait notamment refusé de reconnaître la protection des algorithmes par le droit d’auteur, considérant que : « les intéressés n’avaient fourni aucun élément de nature à justifier de l’originalité des composantes du logiciel, telles que les lignes de programmation, les codes ou l’organigramme, ou du matériel de conception préparatoire ». Les conséquences d’une telle solution permettent à un tiers d’être libre de réutiliser un l’algorithme s’il parvient à l’extraire d’un logiciel et ce, quand bien même le logiciel serait protégé par le droit d’auteur. 
 
Si l’on se place du point de vue de la brevetabilité, l’algorithme ne possède pas « l’effet technique » qui est nécessaire pour toute invention. Or, à la différence du droit d’auteur, l’Office européen des brevets (OEB) a considéré dans une décision Auction Method/Hitachi du 21 avril 2004 (OEB, 21 avr. 2004, T 0258/03, Auction method/HITACHI), que l’algorithme intégré dans une invention brevetable, bénéficiera d’une protection au même titre que l’invention s’il apporte une contribution technique « par un moyen nouveau et non évident ». Pour autant, l’algorithme sera intrinsèquement lié à l’invention dans laquelle il est intégré.
 
Enfin, une autre piste pour la protection de l’algorithme se retrouve dans le secret d’affaires protégé par la directive du Parlement européen et du Conseil sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites, entrée en vigueur le 5 juillet 2016 (Dir.(UE) 2016/943, 8 juin 2016, JOUE 15 juin 2016, n° L 157/1). En effet, sont protégées toutes les informations secrètes, ayant une valeur commerciale résultant de ce caractère et ayant fait l’objet de dispositions raisonnables destinées à les garder secrètes. L’algorithme semble pouvoir remplir chacune de ces conditions, mais le caractère secret rend l’application de la directive trop incertaine.
 
Pour une intervention du législateur
La protection juridique d’un algorithme pris isolément, sans être associé à une invention, reste donc encore difficile à établir. Pour autant, le droit d’auteur a déjà fait preuve de flexibilité notamment pour les logiciels. Alors que le logiciel ne rentrait pas parfaitement dans les "cases" du droit d’auteur, le Code de la propriété Intellectuelle a su forcer son intégration, nécessaire, en mentionnant expressément son caractère d’œuvre de l’esprit.
 
On pourrait alors tout à fait envisager le même schéma pour l’algorithme et le brevet. Sa contribution à l’état de la technique ne fait aucun doute et sa protection devient une réelle nécessité. Pourquoi ne pas envisager sa brevetabilité autonome s’il présente un procédé de résolution de problèmes nouveau et non évident ?
 
Il est désormais temps pour le législateur d’accorder aux algorithmes une protection en tant que telle, à la hauteur de leur place dans la société actuelle, et non plus au dépend d’une autre invention.
Source : Actualités du droit