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Image  Yves Lasfargue, directeur de l'Observatoire du télétravail et de l’Ergostressie

Yves Lasfargue, directeur de l'Observatoire du télétravail et de l’Ergostressie : « Le gouvernement met des freins et des moteurs au développement du télétravail »

Social - Contrat de travail et relations individuelles, Fonction rh et grh, Santé, sécurité et temps de travail
05/09/2017
Chercheur, directeur de l’Obergo (Observatoire du télétravail et de l’Ergostressie*), Yves Lasfargue analyse la portée des dispositions concernant le télétravail dans les projets d'ordonnances du gouvernement, présentés le 31 août dernier.
Actualités du droit : Quelle analyse faites-vous des mesures relatives télétravail contenues dans les projets d'ordonnances du gouvernement ?
Yves Lasfargue : Le télétravail est encore peu répandu en France, et il est positif que les ordonnances abordent ce sujet en fixant comme objectif le développement de ce mode d’organisation. Mais si certaines des modifications prévues vont faciliter le développement du télétravail, d’autres risquent de le freiner. En même temps moteurs et freins...
 
AdD : Les dispositions envisagées par le gouvernement sont-elles de nature à permettre un développement du télétravail ?
Y. L. : Trois dispositions sont particulièrement favorables au développement du télétravail pour les employeurs et pour les salariés. C’est d’abord celle qui concerne les accidents du travail à domicile : « L’accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant les plages horaires du télétravail est présumé être un accident de travail ». C’est une évolution importante qui sécurise employeur et télétravailleur. C’est aussi l’obligation à l’employeur de justifier une éventuelle réponse négative à la demande de télétravail d’un salarié : c’est un début de « droit au télétravail » qui doit éviter l’arbitraire. Le télétravail n’est plus une récompense accordée aux seuls collaborateurs « chouchous ». C’est un type d’organisation qui devrait pouvoir être choisi par tous, à l’exception de certains métiers « non éligibles » au télétravail. Enfin l’ordonnance précise que doivent être définies les modalités de régulation de la charge de travail. C’est une bonne chose qui devrait inciter les partenaires sociaux à mettre au point des méthodes d’évaluation de la charge de travail et pas seulement de mesure du temps.
Par contre l’ordonnance supprime l’obligation du contrat individuel qui est remplacé par la nécessité d’un accord collectif ou d’une charte. C’est une évolution très discutable, qui sera ressentie négativement par les salariés, car le contrat (ou avenant) individuel est un document écrit sécurisant et adapté à chaque salarié et l’obligation d’accord collectif ou de charte n’est pas formelle. Cela peut être un frein au développement du télétravail « légal » et un risque de télétravail « noir » sans document personnel écrit.
 
AdD : La suppression de l'obligation de l'employeur de prendre en charge une partie des coûts découlant du télétravail ne constitue-t-elle pas un recul important ?
Y. L. : Certainement, et cette évolution sera un frein à la demande de télétravail par les salariés. Mais c’est un recul plus spectaculaire qu’important car les coûts ont évolué. D’une part, il est très rare que le salarié doive acheter son matériel. Dans la réalité la plupart des matériels utilisés par les télétravailleurs à domicile sont les portables utilisés au bureau et l’entreprise prendrait un gros risque en autorisant l’utilisation de matériels non-agréés par elle, donc non financés par elle. D‘autre part, les coûts de communication ne sont plus liés télétravail (l’abonnement internet professionnel tend à être le même que l’abonnement familial à domicile). Certes la prise en charge des coûts n’est plus imposée par le Code du travail, mais elle peut faire l’objet de négociations dans l’entreprise car l’ANI télétravail du 19 juillet 2005 (Accord national interprofessionnel sur le télétravail qui a fait l’objet d’un arrêté d’extension le 30 mai 2006) reste en vigueur. Il précise dans son article 7 « L'employeur prend en charge, dans tous les cas, les coûts directement engendrés par ce travail, en particulier ceux liés aux communications. »
 
AdD : Le gouvernement s'est-il inspiré du rapport conjoint établi par les partenaires sociaux avant l'été ?
Y. L. : Ce rapport insistait sur le besoin de sécurisation juridique et de clarification. Le gouvernent a répondu en partie à ces attentes notamment en reconnaissant le télétravail occasionnel et en précisant le statut des accidents survenus au domicile du télétravailleur. Également en incitant l’entreprise à disposer d’un accord collectif signé par les organisations syndicales ou d’une charte élaborée par l’entreprise. Avantage : les modalités du télétravail doivent être explicitées dans un texte, négocié ou pas, mais connu de tous. Mais pas d’obligation formelle.
 
AdD : Le dépoussiérage de l'ANI de 2005 vous apparaît-il nécessaire ?
Y. L. : Améliorer l’accord national interprofessionnel est indispensable car il sert, et de plus en plus servira, de base à tous les accords ou charte d’entreprise, éléments de base de la mise en place du télétravail. Un dépoussiérage peut être intéressant s’il a pour but d’approfondir par la négociation certains thèmes qui restent très flous : où commence et où finit le télétravail occasionnel, situation des salariés nomades, modalités du droit et du devoir de déconnexion, outils d’évaluation de la charge de travail, statut du travail à la maison non-choisi lié à la surcharge de travail, prime forfaitaire pour tenir compte des coûts supplémentaires, ... Mais il faut se rappeler que les vrais freins au télétravail n’ont jamais été et ne sont pas juridiques : ils sont liés au fait que la corrélation positive amélioration des conditions de travail/amélioration de la productivité est refusée par un certain nombre d’entreprises.

Propos recueillis par Jean-François Rio
 
* Observatoire du télétravail et de l’Ergostressie
Source : Actualités du droit