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Le « data », moteur des projets « smart cities »

Tech&droit - Données
03/10/2017
Couramment, nous entendons parler d’objets connectés et intelligents, mais si ces objets « individuels » pouvaient s’élever dans une dimension prenant en compte l’intérêt public ? Cela devient possible grâce au développement de smart cities qui pourraient révolutionner la façon de vivre de tous les citadins par une interconnexion entre les différents aspects de la ville prenant en compte tant des considérations socioculturelles que des considérations écologiques et environnementales. La ville intelligente (smart city) est parfois aussi qualifiée de « ville connectée » ou « ville efficiente » ; tant de noms qui ne sont que synonymes d’un concept au cœur duquel on trouve des « données »[1]. Les explications de Par Thibault VERBIEST, Avocat associé, DS Avocats.
 
I. – SMART CITIES ?
La Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) donne une définition assez exhaustive de ce que l’on pourrait entendre par « smart cities »[2]. Cependant, chaque ville mettant en place une telle expérimentation cible ce qu’elle entend par « smart cities » selon les besoins de ses citoyens, dès lors que ce concept peut se décupler sous différents aspects.
Ainsi une smart city permettrait d’« améliorer la qualité de vie des citadins en rendant la ville plus adaptative et plus efficace, à l’aide de nouvelles technologies qui s’appuient sur un écosystème d’objets et de services [NDLR : connectés] »[3]. 
Les villes intelligentes concernent tant les infrastructures publiques ou non (domotique, réseaux d’électricité, télécoms, etc.) que les transports et les services (notamment administratifs).
Lorsque l’on pense smart cities, le premier pilier dans lequel les villes investissent pour devenir intelligentes concerne souvent un programme de transport et de mobilité prenant notamment en compte le souci environnemental. Ce projet permet également d’optimaliser l’espace urbain et les déplacements en répondant aux besoins des citoyens. Cela peut passer notamment pour des transports (en commun) électriques et/ou autonomes, par des applications permettant de faciliter le parking aux abords des artères commerciales et/ou touristiques mais aussi par l’offre de voitures partagées ou de systèmes de covoiturage.
Un second axe de développement de smart cities concerne les préoccupations environnementales permettant de développer une écologie durable, notamment en ce qui concerne la diminution, le recyclage et la collecte des déchets, mais aussi en matière d’économie d’énergie. Cela passe par une meilleure gestion des énergies et une utilisation plus efficace de celles-ci : que ce soit par la mise en place de systèmes de production locale d’énergies ou par l’installation de bâtiments passifs et équipés de domotique permettant une dépense d’énergie minimale et efficiente. Un troisième axe en lien avec le précédent est celui des bâtiments intelligents (y compris habitats et bâtiments publics) permettant une meilleure gestion des ressources naturelles.
 
II. – LES DONNÉES COMME ESSENCE AU DÉVELOPPEMENT DES VILLES INTELLIGENTES
Une smart city ne pourrait pas fonctionner sans capter des milliers de données (souvent anonymisées). Le principe des villes intelligentes étant de répondre aux besoins précis des citoyens, ces projets nécessitent une récolte de données ; certaines pouvant être qualifiées de « données à caractère personnel ».
Pour une majorité des projets « smart cities », on peut même parler de big data dans la mesure où il s’agit de milliers de données souvent anonymisées qui sont agrégées pour fournir un résultat différent de celui des données prises isolément. C’est par l’agrégation de milliers de données que l’on tire un résultat et des conclusions permettant la mise en place d’infrastructures et de services « intelligents » répondant aux besoins des citoyens. Ces données sont donc essentielles à la réussite d’un projet « smart cities » : elles permettent tant le fonctionnement de services existants que le développement de nouveaux services répondant aux besoins collectifs.
Les sources de données et les initiatives sont diverses, plus encore, le volume des données générées et/ou exploitées est bien souvent impressionnant. Cela requiert une gouvernance concertée permettant d’analyser correctement ces flux de données. Pour réussir à mettre en place une « vraie » ville intelligente, tous les acteurs devront travailler ensemble et échanger leurs propres données sous peine de voir différents projets émerger isolément sans aucune interopérabilité, ce qui nuirait à l’efficacité de chaque projet.
 
III. – LES DONNÉES À CARACTÈRE PERSONNEL
Dans une ville intelligente, c’est un vrai consortium qui doit être créé : composé tant par des acteurs publics que par des acteurs privés avec la mise en place d’une gouvernance éthique prenant en compte des données à caractère personnel. La Cnil rappelle assez souvent que la collecte de données personnelles nécessite le respect de l’obligation d’information à l’égard des personnes concernées et l’obtention de leur consentement[4].
Il est primordial de systématiquement obtenir un consentement libre, éclairé et spécifique des personnes concernées pour la finalité précise pour laquelle les données sont collectées. En ce sens, il sera essentiel de rédiger des conditions générales d’utilisation claires et lisibles pour les utilisateurs qui pourront alors donner leur consentement à la collecte de leurs données en connaissance de cause mais aussi, le cas échéant, refuser ces conditions générales d’utilisation s’ils jugent le service en question trop intrusif quant à la protection de leur vie privée[5].   
Cette question devra aussi passer à l’avenir par l’éducation des citoyens aux objets et aux villes connectés avec une formation des citoyens aux enjeux réels de la protection des données à caractère personnel.
Pour les entrepreneurs publics ou privés souhaitant promouvoir les villes intelligentes, il sera important à l’avenir de tenir une charte d’éthique qui permettra de développer ces villes intelligentes au service des citadins en respectant leur droit à leur vie privée. L’enjeu est d’autant plus grand que dès mai 2018 le nouveau règlement européen en matière de données à caractère personnel (RGDP) sera d’application directe en France. Celui-ci prévoit des règles plus strictes pour les responsables du traitement (notamment notification des failles, obligations d’autoévaluation de la conformité/analyses d’impact et amendes importantes).
Enfin soulignons que sous le RGDP toute collectivité ou personne du secteur privé exerçant une mission de service public devra nommer un délégué nommé « Data protection officer » ou DPO[6]. Les smart cities sont, il nous semble, concernées par cette nouveauté dès lors que toute initiative – même privée – de ville intelligente se doit d’être portée par les collectivités locales et que cela répond d’une mission d’intérêt général.
 
IV. – L’OPEN DATA
Ce qui conditionnera la réussite et la performance d’une ville intelligente sera la capacité du réseau à collecter et à traiter les données mais aussi à étudier et à évaluer leur potentiel : un pilotage clair devra être mis en place. Cela permettra de faire émerger de cet agrégat de données les besoins réels des citadins permettant alors de penser à de nouveaux services intelligents utiles à la ville Plus les données sont nombreuses et traitées correctement, plus la smart city a de chances de rencontrer un franc succès. 
Beaucoup de projets expérimentaux n’ont – dans un premier temps – pas de données propres à traiter pour lancer leur smart city. Pour lancer une smart city, il sera souvent nécessaire de recourir à des données existantes telles que des données météorologiques, des horaires de transports en commun, des disponibilités de places de parking, le volume (ou nombre) de personnes présentes dans un endroit, etc.
Excepté lorsque le projet produit dès le départ ses propres données exploitables, il est très courant que les responsables projet utilisent des bases de données dites « open data ». Insistons sur l’importance de rester vigilant avec ce terme d’« open data »
Ainsi une base de données open data ne signifie pas nécessairement que l’utilisation sera totalement libre et gratuite ! Dans certains cas l’exploitation de ces données sera permise uniquement pour une exploitation non commerciale ou expérimentale. De plus, il arrive couramment que l’exploitation des données soit limitée à un certain volume. Au stade d’une exploitation commerciale, il conviendra de contractualiser l’exploitation des données.
Dans tous les cas, il est toujours préférable de lire les conditions générales d’utilisation de ces bases de données mais aussi de contacter le responsable afin d’être certain d’utiliser correctement et légalement les données disponibles.
 
[3] Pour en savoir plus sur les caractéristiques d’une ville intelligente : <http://www.smartgrids-cre.fr/index.php?p=smartcities-caracteristiques>.
[4] Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 « relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés », art. 6, 2° et art. 7, juncto art. 4, 11) du règlement (UE) n° 2016/679 du 27 avril 2016 « relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données » (RGDP, en vigueur le 25 mai 2018).
[5] Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 « relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés », art. 38.
[6] RGDP, art. 37.1 juncto Guidelines on Data Protection Officers du Groupe de l’article 29, p. 6, (<http://ec.europa.eu/information_society/newsroom/image/document/2016-51/wp243_en_40855.pdf>) : “A public task may be carried out, and public authority may be exercised not only by public authorities or bodies but also by other natural or legal persons governed by public or private law, in sectors such as, according to national regulation of each Member State, public transport services, water and energy supply, road infrastructure, public service broadcasting, public housing or disciplinary bodies for regulated professions. In these cases, data subjects may be in a very similar situation to when their data are processed by a public authority or body. In particular, data can be processed for similar purposes and individuals often have similarly little or no choice over whether and how their data will be processed and may thus require the additional protection that the designation of a DPO can bring.
Source : Actualités du droit