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Image  La déferlante numérique au coeur des débats de la CNA 2017

CNA 2017 : l'économie numérique pousse les avocats à endosser une nouvelle robe

Tech&droit - Intelligence artificielle, Start-up, Blockchain, Données
20/10/2017
Renforcement des exigences des clients, déferlante numérique, accélération du temps, mais en même temps maintien des fondamentaux de la profession. Les avocats doivent s’adapter, proposer de nouveaux services et décrocher ces nouvelles opportunités que représente l’économie numérique. Au risque, pour ceux qui rateront ce train, de perdre d’importantes parts de marché. Le point sur la table ronde « L’avocat au cœur de la nouvelle économie », qui s’est déroulée le 19 octobre dernier lors de la Convention nationale des avocats (CNA).
Un beau panel d’intervenants (Bruno Deffains, professeur en sciences économiques, directeur du programme de recherche en économie du droit, Université Panthéon Assas, Christiane Feral-Schuhl, ancien bâtonnier de Paris, Pierre Berlioz, professeur de droit, ancien conseiller du garde des Sceaux et Jean-Baptiste Danet, président de Croissance Plus) s’était vu attribuer la difficile mission d’explorer les opportunités de l’économie numérique pour la profession d’avocat. Des perspectives sur lesquelles est ensuite revenue la ministre de la Justice, Nicole Belloubet.
 
Vers un renforcement de la dématérialisation des procédures

Premier de ces chantiers, la dématérialisation, ouvert depuis de nombreuses années notamment à travers les efforts de numérisation du ministère de la Justice (Projet Portalis) et des avocats, avec le RPVA. Pour Nicole Belloubet, les avocats sont ainsi « depuis dix ans la cheville ouvrière de la communication électronique avec les juridictions ».
Une ministre qui a insisté sur l’humain. Pour la garde des Sceaux, il faut « un accès dématérialisé et facilité à la justice, mais sans déshumaniser ». « Le numérique ne vise pas à éloigner, mais à rapprocher » a ainsi souligné Nicole Belloubet, en permettant par exemple au justiciable le suivi on-line de son contentieux. Avec au cœur de ce dispositif, pour éviter la fracture numérique, le Service d’accueil unique du justiciable (SAUJ).
Une garde des Sceaux qui a rappelé la nécessité d’accélérer la transformation numérique de la justice. Les crédits affectés à l’informatique ont ainsi été augmentés, dans le projet de loi de finances pour 2018, de 20,6 % (v. Actualités du droit, 28 sept. 2017, Ministère de la justice : un pas important vers la transformation numérique). Nicole Belloubet avait alors affiché un objectif très ambitieux pour qui côtoie le quotidien des juges dans les juridictions : 100 % des services publics numérisés en 2022… Mais de multiples défis devront auparavant être franchis : l’équipement des magistrats, la capacité des réseaux, la signature électronique, notamment, le tout en garantissant la sécurité juridique des échanges.
 
Des legal tech moins appréhendées comme des concurrents

Autre point, concentrant d’habitude les crispations, les legal tech. Des start-up qui sont apparues un peu moins comme des concurrents offensifs et plus comme une dynamique poussant les avocats à évoluer. Signe que les lignes ont déjà commencé à bouger. Ainsi, pour Christiane Feral-Schuhl, « le terme d'ubérisation est excessif, mais il va falloir devenir des avocats augmentés ».
La garde des Sceaux a d’ailleurs voulu rassurer les avocats en affirmant que « le monopole de l’assistance et de la représentation en justice doivent être protégés face au développement des plateformes », tout en soulignant que, alors que « la legaltech connaît ses premiers développements, (elle) souhaite avancer de manière constructive avec tous ces acteurs ».
Bruno Deffains a, pour sa part, affirmé que « le défi de l'avocat 3.0, c'est de comprendre les legal tech et de se saisir de ces technologies ». Pour ce professeur, la révolution dans les deux-trois prochaines années viendra d’ailleurs plus de l'analyse des données des data rooms que de la justice prédictive.
L’inquiétude de Christine Feral-Schuhl, au-delà de la vague de création de legal techs, c’est que les avocats sont absents de la cybersécurité. Un point de vue partagé par Jean-Baptiste Danet, pour qui « on n'imagine pas le poids de cybersécurité dans les prochaines années : l'avocat devra conseiller ses clients sur ce point ». Un marché sur lequel cette profession doit donc inévitablement aller.
L’ancien bâtonnier de Paris a, par ailleurs, insisté sur la nécessité de faire des avocats des créateurs de legal tech, car « le risque est que, si on n’accompagne pas les legal tech créées par des avocats, ils le feront en dehors de la profession ».
Pour Pierre Berlioz, malgré le déploiement massif de l’automatisation, « le stagiaire et le junior ne disparaîtront pas, mais ils seront affectés à d'autres tâches ». Autrement dit, « avec l'automatisation, on assiste à une évolution dans les tâches vers des missions à plus forte valeur ajoutée ». Avec, en ligne de mire, de potentielles turbulences, par ailleurs génératrices de problèmes déontologiques : les avocats seront-ils des sous-traitants des plateformes ?
Pour Jean-Baptiste Danet, certaines tâches sont certes remplacées par la génération automatique de documents, mais les entreprises ont besoin de l’expertise agile des avocats.
 
Justice prédictive : l’analyse de masses de données au service de l’avocat

« Je me méfie de ce terme de justice prédictive mais j'en perçois la portée sur la médiation et la conciliation » a affirmé la ministre, d’autant que « la prévisibilité du droit est une exigence puissante de la démocratie ». Pour avancer, et améliorer la granularité des résultats générés par les algorithmes, la garde des Sceaux a rappelé la nécessité d’avancer sur le chantier de l’open data des décisions de justice : « l’open data est une perspective bénéfique qu'il faut accompagner », a ainsi souligné Nicole Belloubet, qui a par ailleurs rappelé que Loïc Cadiet remettra son rapport sur cette ouverture des données, et les garanties qui doivent l’accompagner, à la fin du mois (v.  Actualités du droit, 3 juill. 2017, Justice et police prédictive : vers des algorithmes plus transparents ?). Avec cette précision, importante, que « l'open data sera un nouvel outil mais ne remplacera pas le raisonnement de l'avocat ».
Pour Pierre Berlioz, « le terme de justice prédictive est un raccourci qui ne correspond pas à la réalité et qu'on ne devrait pas employer » : le « prédictif, c'est de l'analyse du passé ». Et pour l’open data, difficile d’imaginer une ouverture de toutes les données avant cinq ans. Pour autant, pour l’ancien conseiller de Jean-Jacques Urvoas, « c'est dans l'exploitation des données que seront les ressorts de croissance ».
Un avis partagé par Christiane Feral-Shuhl, pour qui « avec plus de données, l'avocat analysera mieux » et délivrera avec plus de précision ses conseils : « Les données ont une vraie valeur. On parle même de "données pétrole».
Alors que, selon Jean-Baptiste Danet, de plus en plus d’entreprises cherchent à éviter les contentieux, « les sociétés ont besoin de s’appuyer sur le conseil de l’avocat, à la fois expert et stratège ». Et ces données peuvent donner une vision précise des risques encourus par ces acteurs et les pousser à la négociation et la conciliation.
 
La profession doit favoriser les avocats entrepreneurs

Parler de l’avocat-entrepreneur, est-ce déplacé ? Pour Jean-Baptiste Danet, « on voit de plus en plus apparaître des avocats entrepreneurs, qui ont construit leur propre business model ». Une expérience qui enrichit nécessairement les conseils donnés à leurs clients. Pour le président de Croissance Plus, « il faut faire des belles PME françaises des ETI et cela se fera avec les avocats ».
Des avocats qui s’ouvrent donc de plus en plus au métier d’entrepreneur, dans les legal tech, mais pas seulement. Ce que souligne Christiane Feral-Schuhl, qui encourage les avocats à monter un projet entrepreneurial : les « avocats doivent créer et utiliser des applications pour accompagner leurs clients : ces applications permettent de faire l'alliance entre la dématérialisation et l'humain ».
 
Faut-il légiférer pour encadrer ces nouvelles technologies ?

Cette nouvelle économie rend-elle nécessaire l’intervention du législateur ? Réponse négative pour Jean-Baptiste Danet, pour qui « l'hyper régulation juridique a fait de nous une colonie numérique », rejoint par Pierre Berlioz qui s’oppose à l’élaboration d’une loi spéciale pour chaque mot nouveau : blockchain, smart contract, etc. : « N'oublions pas que nous avons un droit commun », rappelle ce professeur.
Pour Christiane Feral-Schuhl, « le droit apporte déjà beaucoup de réponses », mais il est nécessaire renforcer la transparence des algorithmes, notamment pour mettre en exergue les biais.
 
Un effort nécessaire sur la formation

Unanimité, en revanche, pour souligner la nécessité de renforcer rapidement la formation des avocats. Pour l’ancien bâtonnier de Paris, « il faut former les avocats à être des entrepreneurs et à l'utilisation de ces technologies, que sont notamment la blockchain, les smart contract ».
Avec cette précision, apportée par Pierre Berlioz, que « la formation, ce n’est pas une accumulation de savoirs, ce que font les robots ». À chacun son savoir et son expertise…
 
 
 
 
 
Source : Actualités du droit