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Fin de la neutralité du net aux USA : quelles conséquences en France ?

Tech&droit - Données
20/12/2017
Le 14 décembre 2017, la Commission fédérale des communications américaines a voté pour l’abolition des règles visant à assurer la neutralité d’internet, soulevant à cette occasion un tollé mondial. Les explications d'Arnaud Touati, avocat associé, co-fondateur du cabinet Alto Avocats, et Gary Cohen, collaborateur.
La fin du principe de neutralité du net
Le 14 décembre dernier, à trois voix contre deux (v. la déclaration du président, Ajit Pai), la Commission fédérale des communications (FCC) a voté la fin du principe de neutralité du Net (FCC, 14 déc. 2017 : « the Commission reversed the FCC’s 2015 heavy-handed utility-style regulation of broadband Internet access service, which imposed substantial costs on the entire Internetécosystème »), principe acté il y deux ans (FCC, 26 févr. 2015, pour en savoir plus, lire le rapport préalable à ce vote), sous l’administration Obama, lorsque la FCC s’était prononcée pour la qualification de l’internet américain comme un « bien public », le soumettant, notamment, à l’obligation de garantir la neutralité du réseau.

Rappelons ce qu’est la neutralité d’internet. C’est un principe fondateur, véritable pierre angulaire de la construction du réseau et qui vise, de manière générale, à garantir que tous les contenus mis en ligne soient également traités et à s’assurer qu’internet reste libre et juste. En pratique, cela signifie qu’un fournisseur d’accès à internet (FAI), ne peut pas bloquer certains contenus (par exemple des vidéos, plus lourdes à gérer) ou l’accès à certains sites, ni réclamer un surcoût aux consommateurs qui voudraient un accès plus rapide.

Ce principe semble tellement participer au bon fonctionnement d’internet que peu de personnes en avait connaissance avant que la commission fédérale américaine décide d’y porter un coup d’arrêt.

Mais pourquoi alors porter atteinte à ce principe fondamental ? Les partisans de la mort de la neutralité du Net estiment que l’existence de cette régulation, comme toute autre régulation, est un frein aux investissements et vient surtout toucher les populations défavorisées ou vivant éloignées des villes.

En outre, si l’on parvient à instaurer un modèle reposant sur différents modèles de tarification, la compétitivité des entreprises s’en retrouvera améliorée et le consommateur final en profitera. À l’instar des offres révolutionnaires de Free mobile en France, on pourrait s’attendre à une chute drastique des coûts (v. les communiqués publiés par la FCC).

La portée de ce vote en France
Concrètement, cela pourra permettre aux opérateurs télécom (les fournisseurs d’accès à internet, ou FAI) in fine, et sous réserve que le Congrès ou un juge ne s’y oppose, de moduler la connexion allouée à chaque utilisateur et de choisir quels sites internet pourront être consultés à et quels prix, un internet à deux vitesses. On pense par exemple à un package qui regroupe tous nos réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram etc.) pour 10$ par mois.

En France, la neutralité du Net est garantie par l’ARCEP (l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) qui tire ses pouvoirs de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 (JO 8 oct.) dite loi pour une République numérique.

Ainsi, aux termes de l’article L. 33-1, I, b), du Code des postes et des communications électroniques : « L'établissement et l'exploitation des réseaux ouverts au public et la fourniture au public de services de communications électroniques sont soumis au respect de règles portant sur : (…) Les conditions de confidentialité et de neutralité au regard des messages transmis et des informations liées aux communications (…) ».

Cette neutralité est également consacrée au niveau de l’Union européenne par le règlement (UE) 2015/2120 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 (JOUE 26 nov. 2015, n° L 310/1), règlement transposé par la loi pour une République numérique.

Les internautes français n’ont donc, en l’état, pas de quoi craindre que ce principe fondamental soit remis en cause dans l’hexagone ou plus largement dans l’Union, d’autant plus que l’ARCEP adopte une position très précise à ce sujet, son président ayant déclaré récemment que « L’internet français est plus neutre qu’ailleurs » (v. la déclaration du président, Sébastien Soriano).

Juridiquement parlant donc, les législations européennes (du moins celles des pays de l’Union) ne pourront pas être modifiées dans un sens moins favorable que celui proposé par le règlement qui impose la neutralité du net comme garantie sine qua non à l’exploitation d’un réseau de communication.

Le vrai danger réside plutôt dans les répercussions qui pourront avoir la décision américaine en France.

En théorie, les conséquences seront marginales, dans la mesure où les fournisseurs d’accès à internet français restent bien évidemment soumis à la législation nationale et européenne. Tout au plus, cela pourra appuyer leurs demandes visant justement à supprimer ou en tout cas alléger les règles sur la neutralité du net ce à quoi le législateur semble, pour le moment, peu disposé.

La décision prise outre-Atlantique est donc regrettable mais pas définitive, et ne présente pas, au jour de ces mots, de menace pour les internautes français. 
Source : Actualités du droit