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Martine Clémente, directrice de l'action économique de l’INPI : « Ce sont les entreprises qui commencent à être plus matures, au-delà des start-up, qui ont le réflexe de déposer des brevets »

Tech&droit - Start-up, Données
09/01/2018
Une étude de l'INPI consacrée aux entreprises privées déposantes de brevets, rendue publique en décembre dernier, révèle que les PME sont à l'origine de 21,2 % des demandes de brevets. Un chiffre en augmentation constante depuis 2012. L'analyse de Martine Clémente, directrice de l'action économique de l’INPI.
Actualités du droit : Combien de brevets ont été déposés en 2016 et quelle est la tendance par rapport à 2015 ?
Martine Clémente : Le nombre des dépôts est constant : 16 158 demandes de brevets en 2016, soit une évolution de – 0,8 % par rapport à 2015.

La tendance est plutôt à la stagnation depuis une dizaine d’années, mais la bonne nouvelle, c’est que ce sont les brevets déposés par des entreprises privées françaises qui sont en augmentation, et en particulier ceux des PME et des ETI.
 
Pour les PME, la hausse est de 1,3 % par rapport à 2015 et pour les ETI, elle est de 5 % de plus.
 
Et au sein des PME, si on regarde plus précisément, ce sont les entreprises qui ont entre 10 et 49 salariés qui marquent la plus forte progression (+ 14 %). Ce sont donc les entreprises qui commencent à être plus matures, au-delà des start-up, qui ont le réflexe de déposer des brevets.
 
ADD : En tout, combien de brevets sont actuellement actifs en France ?
M. Cl. : Nous comptabilisons 536 198 brevets en cours, au 31 décembre 2016, autant de monopoles en vigueur aujourd’hui.
 
ADD : Quelle est la part des déposants français ?
M. Cl. : Pour l’essentiel, ce sont des entreprises françaises. Il y a 87,6 % des demandes de brevets déposées en 2016 à l’INPI qui l’ont été par des Français (personnes morales et personnes physiques) ; 75,7% par des personnes morales.
 
ADD : Combien de brevets déposent, chaque année, en moyenne chaque entreprise privée française ?
M. Cl. : Le nombre de publication est fortement lié à la taille de l’entreprise : s’il est de 1,3 publication par PME, c’est 1,9 par ETI et 11,2 par grande entreprise.
 
ADD : Quels sont les freins identifiés à la dépose de brevet ?
M. Cl. : Le frein numéro un, c’est la méconnaissance par les entreprises de l’utilisation de la propriété industrielle. Il y a un a priori qui voudrait que les démarches soient très compliquées et que cela ne les concerne pas. Ce frein est donc culturel.
 
C’est pour cela que nous avons mis en place une importante opération de sensibilisation des entreprises, des PME et des start-up en particulier (nous sommes par exemple présents au sein de Station F, dans les incubateurs, les CCI, au sein de nombreux salons et conventions, et nous réalisons plusieurs milliers de visites d’entreprises chaque année), parce que c’est souvent par méconnaissance que les acteurs économiques ne protègent pas leurs créations.

Les entreprises considèrent, également, le brevet comme une contrainte et pas comme un atout de compétitivité. Il faut donc aussi passer cette barrière-là (contraintes administratives, coût, etc.).
 
Souvent, en outre, elles estiment que cette protection concerne surtout les grandes entreprises. Or, justement, la dépose de brevet permet de rééquilibrer le rapport de force entre une petite entreprise et une grande : ces brevets sont des actifs immatériels, qui vont constituer une monnaie d'échange et de discussion avec une grande entreprise qui serait intéressée par le même type d’innovation. Sans parler de leur valeur aux yeux des investisseurs.

Une étude américaine*, montre qu’avoir un brevet augmente de 47 % les chances de trouver un investisseur
(National bureau of economic research (2017); Étude sur l’impact de la détention d’un brevet par une start-up, basée sur l’analyse de près de 35 000 brevets délivrés aux États-Unis depuis 2001).
  
GMG : En 2016, quel type d’entreprise a principalement déposé des brevets (PME, ETI ou grandes entreprises) ?
M. Cl. : Ce sont les grandes entreprises qui ont déposé le plus de brevets. En France, il y a eu :
  • 605 grandes entreprises, pour 6 783 brevets;
  • 482 ETI, pour 935 brevets ;
  • 1 993 PME, pour 2 530 brevets.
 
Les PME représentent bien la majorité des entreprises du secteur privé (personnes morales françaises). Dans ces PME, ce sont les entreprises de 0 à 9 salariés qui sont les plus nombreuses à avoir effectué des dépôts, mais ce chiffre est aussi le reflet de la composition des entreprises sur le territoire français (ces entreprises de 0 à 9 salariés sont au nombre de 879 à avoir déposé des brevets).
 
ADD : Ces brevets font-ils toujours l’objet d’une extension auprès de l’Office européen des brevets (OEB) ou du système Patent Cooperation Treaty (PCT) ?
M. Cl. : Ce n’est pas toujours le cas. Pour chaque brevet, l’entreprise doit se poser la question du territoire sur lequel elle souhaite protéger son invention, en fonction de sa stratégie de développement et de ses objectifs commerciaux. Le taux d’extension des brevets des personnes morales françaises au niveau de l’Office européen des brevets et du PCT est de 61 %.
 
Ce qu’il est intéressant de relever, c’est que les grandes entreprises ne déposent pas tellement plus de demandes d’extension (52,4 %) que les ETI (52,4 %) ou les PME (52,1 %).
 
Ces chiffres sont un peu en-dessous des personnes morales françaises en général (qui incluent les organismes de recherche et d’enseignement dans le supérieur, comme le CNRS, le CEA, etc.). Ces organismes protègent quasi systématiquement leurs innovations à l’étranger, alors que l’entreprise se posera plus la question brevet par brevet.
 
ADD : Quelle est la répartition par secteur de ces entreprises qui déposent des brevets ?
M. Cl. : Toute innovation est concernée. Cela va de la chimie à la mécanique. Les demandes de brevets sont également le reflet de la spécialisation technologique des entreprises françaises.
 
Au niveau des PME, on a constaté qu’il y avait beaucoup de brevets portant sur la technologie médicale, de manière générale, et sur les machines spécialisées (manutention, notamment). Ensuite, il y a tout le bloc de la chimie (chimie alimentaire, produits pharmaceutiques). Le dernier domaine, c’est celui du traitement des données.
 
ADD : Et géographiquement, est-ce qu’il existe des disparités entre les régions françaises ?
M. Cl. : Ce qui varie cette année, ce sont les régions dans lesquelles les demandes émanant de PME/ETI ont le plus progressé. Il s’agit des Pays-de-Loire, du Grand-Est et de la Provence-Alpes-Côte d’Azur.
 
Ce ne sont pas des régions dans lesquelles il y a particulièrement plus de créations d’entreprises qu’ailleurs. Ce chiffre peut s’expliquer par une volonté politique de promouvoir l’innovation sur le territoire et la propriété industrielle est directement liée à l’innovation.
 
 
  PME Grandes entreprises Total des entreprises du secteur privé
10-Industries alimentaires  1,3% 0,4% 0,7%
20-Industrie chimique  6,5% 8,2% 7,6%
21-Industrie pharmaceutique  1,8% 0,5% 1,0%
22-Fabrication de produits en caoutchouc et en plastique  1,9% 2,5% 2,2%
23-Fabrication d'autres produits minéraux non métalliques  1,1% 1,8% 1,7%
24-Métallurgie  0,1% 0,3% 0,3%
25-Fabrication de produits métalliques, à l’exception des machines et des équipements  4,4% 1,9% 2,9%
26-Fabrication de produits informatiques, électroniques et optiques  19,0% 20,6% 19,7%
27-Fabrication d'équipements électriques  8,2% 13,3% 11,4%
28-Fabrication de machines et équipements n.c.a.  26,8% 27,2% 26,9%
29-Industrie automobile  2,4% 14,2% 10,4%
30-Fabrication d'autres matériels de transport  2,5% 4,0% 3,5%
31-Fabrication de meubles  1,4% 0,0% 0,5%
32-Autres industries manufacturières  14,4% 3,0% 6,8%
43-Travaux de construction spécialisés 5,2% 0,6% 2,3%
62-Programmation, conseil et autres activités informatiques  1,1% 0,4% 0,6%
Ensemble France 100,0% 100,0% 100,0%
 
Mais, bien entendu, le nombre de brevet est le reflet de l’activité industrielle. L’Ile de France, Rhône-Alpes et l’Occitanie sont les régions qui déposent le plus de brevets.
 
ADD : Parmi ces entreprises, pour quelles raisons les PME et les ETI sont-elles particulièrement accompagnées par l’INPI ?
M. Cl. : Depuis quelques années, nous menons une politique proactive pour accompagner les PME/ETI dans l’utilisation des outils de propriété industrielle, parce que la compétitivité des entreprises passe par l’innovation. Et pour que l’innovation soit pérenne dans l’entreprise, il faut qu’elle soit bien protégée.
 
Or, parfois, les entreprises abordent cette question de la propriété industrielle en défense, lorsqu’elles ont un sujet de contrefaçon.
 
L’idée, c’est de leur faire prendre en compte le plus tôt possible, dès la recherche développement, de l’importance de la protection des créations. L’INPI s’emploie à cela, dans la cadre de sa mission de service public.
 
Propos recueillis par Gaëlle MARRAUD des GROTTES
 
Source : Actualités du droit