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Image  Getty @antoniokhr

Volet numérique des Chantiers de la justice : l’avis contrasté du CNB

Tech&droit - Intelligence artificielle, Blockchain
22/02/2018
Les 16 et 17 février derniers se tenait l’assemblée générale du Conseil national des barreaux (CNB). L’objectif : se prononcer sur les propositions transmises à la Chancellerie dans le cadre des Chantiers de la justice. Les débats, parfois très animés, ont permis de dégager des points de consensus et de fermes oppositions. Tout en révélant les briques que pourrait apporter la profession au déploiement du plan de numérisation de la justice. Revue de détail.
Une méthode contestée

Cela a été souligné à plusieurs reprises lors de cette assemblée générale du CNB. Pour Jérôme Gavaudan, « la méthode adoptée n’était pas satisfaisante ». Une consultation très courte, des rapports présentés le 15 janvier (Chantiers de la justice et transformation numérique : un programme ambitieux, Actualités du droit, 19 janv. 2018), et depuis, plus rien. La Chancellerie n’a en effet pas encore communiqué les avant-positions initialement prévues première quinzaine de février. Et pourtant le calendrier est serré puisque le projet de loi portant ces réformes devrait être déposé devant le Conseil d’État au cours de la première quinzaine de mars.
 
Nouvelle occasion avec la réunion au cabinet de Nicole Belloubet, à la suite de la journée de manifestation, le 15 février dernier. Mais là encore, aucune position officiellement arrêtée, relève Jérôme Gavaudan : « la position du cabinet était si peu lisible qu’elle générait beaucoup d’angoisses et désormais de colère ». Le ministère a cependant assuré les avocats qu’ils seraient entendus avant la fin du mois de février, a précisé le représentant des barreaux de province, ajoutant qu’« une réflexion, je l’espère écrite, va nous être rapportée ».
 
Difficile de discuter utilement avec la Chancellerie sur des positions non révélées. Et cette impression d’avancer parfois dans le flou s’est traduite dans les votes qui ont eu lieu lors de l’assemblée générale des 16 et 17 février derniers : le compte rendu des votes mentionne ainsi que « Le Conseil national des barreaux considère (…) que nombre des propositions émises dans le rapport sont très générales et doivent être approfondies et précisées pour que le CNB puisse se prononcer utilement ».
 
Quelques chiffres 
- 33 propositions issues du Rapport sur la transformation numérique présentée par Jean-François Beynel et Didier Casas ; 
- 55 % des propositions commentées ; 
- 12 % de  votes contrastés : « oui, mais », c’est-à-dire un accord assorti de réserves ;
- 12 % de « non ».
 
Les lignes à faire bouger

« Nos interlocuteurs doivent savoir ce que veulent, ce que ne veulent pas, ce que proposent les avocats », prévient Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des barreaux (CNB). Chose faite au terme de plusieurs heures de discussion, chantier par chantier.
 
Concrètement, les avocats ont souhaité, tout en donnant leur accord, apporter des précisions sur dix-huit points, qui s’articulent autour des axes suivants :
  • Associer les avocats dans le déploiement de la transformation numérique (applicatifs métiers, formation, etc.) ;
  • Renforcer la place de l’avocat comme interlocuteur privilégié des justiciables (cantonnement du rôle des SAUJ et des associations, consultations gratuites, etc.) ;
  • Encourager la médiation numérique (bornes dédiées, développement d’outils favorisant les MARD) et le suivi numérique des contentieux ;
  • Accentuer la transparence (justice prédictive, plateforme, accès intègre  aux décisions de justice, associer les avocats au développement d’un algorithme de rédaction simplifié des décisions de justice, etc.).
  
Accroître les moyens consacrés à l’ajustement et au déploiement des applicatifs Il serait néanmoins souhaitable que les développements des applicatifs métiers de la justice soient étudiés avec la participation des avocats afin que ces derniers soient dès l’origine parfaitement interopérables, et ce dès leur conception.
Au sein de chaque juridiction, designer un correspondant informatique.
Tirer parti du réseau d’écoles professionnelles de la Justice pour accompagner la transformation numérique dans le cadre de la formation initiale comme continue Des formations communes avec les avocats pourraient être envisagées de manière à faire remonter d’éventuels incidents et manque d’interopérabilité des applicatifs, et d’éviter les incompréhensions.
Les SAUJ doivent être mobilisés et formés Les SAUJ ne sauraient cependant se transformer en « point » de consultations juridiques et d’aide à la saisine des juridictions sauf à remettre en cause les dispositions mêmes de la loi de 1971.
Le SAUJ doit se limiter à accueillir, orienter le justiciable en lui apportant la nécessaire information ou documentation juridique.
Les Barreaux doivent être replacés au cœur de l’accès au droit.
Les SAUJ devant être l’antichambre de la saisine de l’avocat, quelle que soit la nature du litige, avec ou sans représentation obligatoire.
La dématérialisation complète de la procédure ne saurait par ailleurs être imposée à une partie non représentée.
Les points d’accès au droit être renforcés Le CNB suggère d’équiper les cabinets d’avocats mais aussi des ordres d’avocats et les palais de justice de bornes dédiées permettant aux justiciables de saisir la justice ou de recourir à un MARD.
En lien avec les barreaux, la possibilité de premières consultations gratuites doit être expertisée Dans tous les cas, le justiciable doit être orienté vers la consultation d’un avocat, auxiliaire de justice, étant à même de l’accompagner dans ses démarches, que la procédure soit avec représentation obligatoire ou non.
Des partenariats développés avec le secteur associatif pour la prise en charge des personnes en situation d’isolement et de détresse. Si le CNB soutient cette attention portée aux plus vulnérables, il rappelle que l’avocat est l’interlocuteur privilégié du justiciable, y compris en situation d’isolement et de détresse.
La nécessité de ne laisser personne au bord de la route Le SAUJ doit se limiter à accueillir, orienter le justiciable. Il doit être l’antichambre de la saisine de l’avocat, quelle que soit la nature du litige, avec ou sans représentation obligatoire. Les Barreaux doivent être replacés au cœur de l’accès au droit.
L’avocat doit rester l’interlocuteur privilégié du justiciable, y compris en situation d’isolement et de détresse. Les Barreaux doivent être replacés au cœur de l’accès au droit.
Un développement large des modes alternatifs de résolution des conflits par le numérique (médiation, conciliation, traitement participatif…) laissé à l’initiative des acteurs sous le contrôle du ministère de la Justice. Le CNB ne peut qu’approuver le développement des MARD par voie numérique, dès lors que l’accompagnement des justiciables par l’avocat est favorisé.
L’orientation vers les modes amiables doit être prévue dès le stade des services SAUJ par une orientation vers les avocats qui sont les professionnels les plus qualifiés pour donner l’information nécessaire au justiciable sur les modes alternatifs.
Le CNB développe des outils favorisant la médiation et plus généralement les modes alternatifs par voie numérique.
En outre, le CNB est favorable à la déjudiciarisation par le développement du recours à l’acte d’avocat, avec force exécutoire.
L’AG décide un renvoi en commission pour examiner plus en détail la question de la labellisation.
Vers un numérique permettant la transparence du fonctionnement du service public de la justice
 
La justice prédictive ne peut être envisagée que sous réserve d’un contrôle et d’une transparence sur les algorithmes utilisés.
Les avocats doivent se voir garantir un accès complet et intègre aux décisions de justice, non anonymisées et non pseudonymisées.
Un passage à la saisine numérique fortement incitative par bloc de contentieux et de matière
 
S’il s’agit de saisir en ligne le juge, le CNB recommande que seules les affaires sans représentation obligatoire puissent permettre la saisine en ligne par le justiciable. L’accompagnement par avocat devrait néanmoins être favorisé. L’accompagnement par avocat est une nécessité pour garantir à tout justiciable, un réel accès à la justice. Dans les autres cas, les dossiers nécessitent la gestion par un avocat, du fait de la complexité de l’affaire. Ce serait alors à l’avocat de saisir le juge, avec constitution par l’avocat
d’un dossier numérique dématérialisé pour la procédure.
Un accès par les seules parties habilitées tant en
matières civile que pénale
 
Le CNB ne s’oppose pas à la possibilité pour les justiciables de suivre l’instruction de leur affaire sur le modèle de l’application « SAGACE » qui permet aux parties de suivre la communication dématérialisée des écritures et des actes de procédure entre les juridictions administratives, les avocats bénéficiant quant à eux de l’application « Télérecours » pour gérer leurs communications d’actes de procédure et de pièces.
Une gestion du dispositif en matière pénale qui doit s’inscrire dans des règles précises :
• Un dispositif entièrement conçu et géré par l’État au regard des exigences de la matière pénale et de la procédure
• Refondre la conception de la constitution du dossier pénal afin d’atteindre un objectif de dématérialisation totale.
• Un dispositif à construire dans un partenariat étroit entre les ministères de la justice et de l’intérieur
• Un dispositif qui doit strictement respecter l’application effective des dispositions du code de procédure pénale notamment les articles 12, 12-1,
13, 14, 37, 38 et 40
Les avocats doivent pouvoir recevoir copie du dossier pénal par voie dématérialisée, via un réseau sécurisé entre les avocats et les juridictions via une plateforme sécurisée d’échange de documents. (type e-actes).
Une présence des parties comme élément de la durée du procès
• Dès lors que les parties auront été amenées à échanger par ce biais l’ensemble de leurs pièces et de leurs écritures en amont de manière contradictoire, doit conduire à une limitation de l’audience à un rôle de finalisation et de précision.
•Une possibilité d’accord des parties sur la nature de l’audience avec des incitations fortes à l’accord sur l’absence.
Voir développement par le CNB d’une plateforme dématérialisée de mise en état conventionnelle.
Les avocats doivent pouvoir échanger avec les juridictions via une plateforme sécurisée permettant des échanges de liens hypertexte pour récupération des documents
Une rédaction des décisions rénovée
 
Ne pas priver le Juge de son pouvoir d’appréciation in concreto.
Associer les avocats à l’élaboration des algorithmes utilisés.
Garantir aux avocats un accès complet et intègre aux décisions de justice, non anonymisées et non pseudonymisées.
Au Pénal, prévoir l’envoi automatique du PCM dans le délai d’appel (10 jours) et générer automatiquement l’envoi du jugement dès qu’il est tapé par le greffe.
Comme au stade des échanges contentieux (cf. 3.3) le respect de ces exigences dans des conditions de sécurisation suffisante ne nécessite pas nécessairement l’emploi de dispositifs de signature électronique, et il convient donc de bien s’assurer, en fonction des usages, du niveau de sécurité et du dispositif technique le plus approprié V. supra : développement d’une blockchain avocat pour l’exécution des décisions.
Le socle technique, au travers de l’amélioration des réseaux, la modernisation des outils de travail du quotidien (ultraportables, téléphonie sécurisée, etc.) et certains applicatifs métiers seront mis à disposition en 2018/2019 Associer les avocats à tous les stades de la modernisation.
Former les personnels au niveau local.
 
 
Bien que ce point ne soit pas détaillé, notons toutefois la volonté du CNB de déployer une blockchain avocat pour l’exécution des décisions de justice. Et demain, pour permettre, via des smart contract, de donner ce qui pourrait être assimilé à une force exécutoire à certains actes d’avocat ?
 
L’assemblée générale a, par ailleurs, rejeté quatre des propositions du rapport du 15 janvier :
  • Une labellisation des plateformes par le ministère ;
  • L’accès direct au dossier judiciaire unique (civil et pénal) par le justiciable ;
  • La présence facultative des parties à l’audience ;
  • Le déploiement massif de décisions simplifiées.
 
Mise en place d’une labellisation pour s’assurer du sérieux des plateformes. Il doit être rappelé que cette phase initiale du litige préconisée par les rapporteurs impose nécessairement une consultation juridique, que seuls les professionnels du droit habilités, au sens des dispositions de l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971, peuvent dispenser.
Une labellisation des plateformes telles que le projet l’esquisse dans le rapport est particulièrement dangereuse pour nos concitoyens et pour le projet lui-même.
De plus, les échanges entre les parties durant cette phase doivent demeurer secrets et sécurisés. Ils ne sont pas opposables en phase de contentieux. Une labellisation des opérateurs privés ne saurait garantir la préservation du secret.
Le Conseil national des barreaux décide de soumettre à l’examen des commissions la question d’une labellisation par le CNB.
Une question à trancher en matière civile : l’accès direct par le justiciable assisté d’un avocat (qu’il soit en procédure avec obligation de constitution ou non)  
• Un juge qui peut, en motivant, passer outre à la présence des parties.  
Un développement massif des décisions simplifiées :
• Extension de l’ordonnance civile pour les litiges simples par voie numérique.
• Développement des jugements types numériques par référence à des jurisprudences affirmées
Ceci pose de nombreuses difficultés.
Voir chantier procédure civile.
 
Reste maintenant à savoir quel sera le contenu du projet de loi transmis au Conseil d’État. Ce qui ne sera toutefois qu’une première étape, l’essentiel de la réforme de la justice étant prévu par voie de décrets…
Source : Actualités du droit