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Image  Thibault Meiers, avocat à la cour, cabinet Dechert LLP

Inaptitude définitive et obligation de reclassement : quel état des lieux ?

Social - Fonction rh et grh, Contrat de travail et relations individuelles, Santé, sécurité et temps de travail
02/03/2018
Par Thibault Meiers, avocat au cabinet Dechert LLP, un tour d'horizon des nouvelles obligations de l'employeur en matière de reclassement de salarié déclaré inapte.
S’il est un passage obligé pour l’employeur avant de licencier un salarié déclaré définitivement inapte à son poste par le médecin du travail, c’est de diligenter des recherches de reclassement. L’employeur ne peut se soustraire à cette obligation, sauf à ce que le médecin du travail ne l’en dispense, en précisant sur l’avis d’inaptitude que tout maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ou que son état de santé fait obstacle à tout reclassement.
Ce n’est qu’en cas d’impossibilité justifiée de reclassement que le licenciement pour inaptitude est possible. A défaut, le licenciement sera jugé sans cause réelle et sérieuse, avec les conséquences indemnitaires associées, l’employeur étant en outre tenu de verser au salarié l’indemnité compensatrice de préavis.
Si l’inaptitude est d’origine professionnelle, le salarié pourra formuler une demande de réintégration et, en cas de refus de celle-ci, obtenir une indemnité d’au moins 12 mois de salaire se cumulant avec les indemnités de préavis et spéciale de licenciement.
L’enjeu est donc important. Les plaideurs le savent et ils en usent. L’angle d'attaque est plus simple que la contestation des considérations et prescriptions médicales. Un état des lieux s’impose.

Objectif

La recherche de reclassement doit tendre à identifier un emploi approprié aux capacités du salarié, en prenant appui sur les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule, y compris ultérieurement à l’avis d’inaptitude s’il est besoin de précisions. L’emploi en question doit également être recherché en tenant compte des compétences du salarié. Le médecin du travail est aussi appelé à formuler des indications sur l’aptitude de l’intéressé à bénéficier d’une formation, laquelle ne peut cependant pallier un défaut de formation initiale ni former à un métier différent. Cet emploi doit enfin être aussi comparable que possible à celui précédemment occupé, au besoin par adaptation ou transformation du poste, mutation ou toute autre modification du contrat de travail appropriée. La recherche doit ainsi être individualisée.

Périmètre

L’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 a restreint le périmètre de l’obligation au territoire national. Elle a également davantage encadré le champ d’investigation de l’employeur, selon que l’entreprise d’affectation du salarié inapte appartient ou non à un groupe de sociétés. Ce groupe est désormais défini comme l’ensemble formé par une entreprise dite dominante (dont le siège social est situé sur le territoire français) et les entreprises qu’elle contrôle ou sur lesquelles elle exerce une influence dominante. Cette nouvelle approche du groupe de reclassement est plus restrictive que celle antérieurement suivie par la cour de cassation, laquelle faisait primer les possibilités de permutation de tout ou partie du personnel sur les notions de contrôle du code de commerce.
Voilà qui pourrait mettre un coup d’arrêt aux décisions ayant pu reconnaitre un groupe de reclassement dans des relations de partenariat (Cass. soc., 24 juin 2009, n°07-45.656) ou entre des sociétés sous contrat de franchise (Cass. soc., 20 févr. 2008, n°06-45.335).
Si l’entreprise où est affecté le salarié inapte relève d’un groupe de sociétés français au sens du code de commerce, les recherches de reclassement porteront sur les postes disponibles de cette entreprise en France et sur ceux des sociétés du groupe situées sur le territoire français dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation permettent d’assurer la permutation de tout ou partie du personnel. Dans le cas contraire, hors d’un groupe, les recherches de reclassement n’auront pas à être étendues à d’autres entreprises en France.
Quel périmètre retenir si l’entreprise d’affectation du salarié relève d’un groupe dont l’entreprise dominante est située à l’étranger ? Une précision a été ajoutée à cet égard au cas où l’inaptitude est d’origine professionnelle. La recherche de reclassement doit intervenir au sein de toutes les entreprises du groupe implantées sur le territoire français (C. trav., art. L.1226-2). Rien n’est dit en revanche en cas d’inaptitude d’origine non-professionnelle. S’agit-il d’une omission ? La vigilance est de mise, sachant qu’en cas de contentieux c’est à l’employeur de justifier du périmètre de reclassement (Cass. soc., 28 mai 2014, n°13-14.189).

Délai

Tout effort de reclassement antérieur à la reconnaissance de l'inaptitude est sans valeur. L’employeur n’est pas tenu de licencier à bref délai un salarié inapte. Il y a néanmoins un délai préfix d’un mois, courant à compter de la délivrance de l'avis d'inaptitude, passé lequel l’employeur doit reprendre le paiement du salaire que le salarié percevait avant la suspension de son contrat, s’il n’a pas été entre temps reclassé ou licencié. Ce délai est un encouragement à la célérité.
Mais célérité ne doit pas se confondre avec précipitation, laquelle compromettrait une recherche effective de reclassement. Nombre de décisions de justice font ainsi état de ce que l’employeur ne peut informer le salarié de l’impossibilité de le reclasser dès le jour de l’émission de l’avis d’inaptitude, et qu’il n’est a fortiori pas possible de lancer la procédure de licenciement concomitamment à cette date. Un arrêt récent en donne une illustration (Cass. soc., 27 sept. 2017, n°16-17.502). Au cas d’espèce, une salariée a été déclarée inapte à son poste. L’employeur a interrogé le médecin du travail pour connaitre les postes susceptibles de lui être proposés. Sans réponse de sa part dans les 48 heures, l’employeur a informé la salariée de l’impossibilité de pourvoir à son reclassement et, deux jours plus tard, initié la procédure de licenciement. Sans surprise, ce licenciement a été jugé sans cause réelle et sérieuse, au motif que les recherches de reclassement n’ont été ni loyales ni sérieuses, l’employeur ayant engagé la procédure de licenciement pour inaptitude de manière trop hâtive. La dimension de l’entreprise ou la pathologie de l’intéressé peuvent cependant parfois être prises en compte pour démontrer que la rapidité de la procédure n’a rien d’un artifice.

Avis

Une fois un reclassement identifié et avant de le proposer au salarié inapte, l’employeur a intérêt à soumettre son offre au médecin du travail pour validation et parer tout refus abusif du salarié (Cass. soc., 7 janv. 2015, n°13-20.433).
Il doit consulter les délégués du personnel ou le comité social et économique, le cas échéant, compétents au niveau de l’établissement où est occupé le salarié inapte (Cass. soc. 7 déc. 2016, n°14-27232), sauf à ne pas être soumis à l’obligation d’élire ces représentants du personnel ou être en mesure de rapporter la preuve d’une carence de candidats aux dernières élections professionnelles. Cette consultation s’applique quelle que soit l'origine de l'inaptitude. Pour avoir un effet utile, elle suppose la communication préalable aux représentants du personnel de toutes les informations susceptibles de les éclairer sur les recherches effectuées et les reclassements envisagés, en ce compris les conclusions du médecin du travail. La cour de cassation a pu admettre que cette consultation puisse intervenir après qu’une première offre de reclassement ait déjà été présentée au salarié (Cass. soc., 16 mars 2016, n°14-13.986) mais cela doit rester marginal en raison du risque évident de délit d’entrave et d’être condamné à verser des indemnités au salarié.
L’avis exprimé ne lie pas l’employeur (mais celui-ci doit répondre aux propositions éventuellement formulées). Il ne saurait davantage l’exonérer de mener des recherches de reclassement sérieuses et loyales. La cour de cassation l’a rappelé il y a peu (Cass. soc., 6 oct. 2017, n°16-14.544). Des représentants du personnel avaient constaté dans leur avis « l’impossibilité d’aménagement d’un poste de reclassement au sein de l’entreprise ou de permutabilité d’emploi compatible avec les restrictions médicales imposées concernant le salarié ». S’estimant ainsi libéré de toute obligation de rechercher à reclasser le salarié, l’employeur l’a alors directement licencié. A tort selon les juges, qui ont considéré le licenciement sans cause réelle et sérieuse pour manquement à l’obligation de reclassement. L’employeur doit ainsi toujours chercher à reclasser le salarié inapte, peu important l’avis des représentants du personnel. Seul le médecin du travail peut l’exonérer de cette obligation.

Offre

L’avis des représentants du personnel en main, l’employeur propose, s’il y a lieu, au moins une offre de reclassement au salarié inapte, laquelle doit être personnalisée, précise et, à des fins probatoires, devrait être écrite. L’employeur peut demander au salarié de lui répondre dans un délai (Cass. soc., 1er févr. 2017, n°15-13.910 : deux jours).
L’acceptation expresse de la proposition par le salarié conduira à la poursuite de la relation de travail aux nouvelles conditions. Son refus, tacite ou écrit, appellera d’autres propositions, en tenant éventuellement compte de ses desideratas - exprimés ou tirés de son silence - (Cass. soc., 23 nov. 2016, n°15-18092 et 14-26.398 ; Cass. soc., 8 févr. 2017, n°15-22.964). Se pose encore la question de la licéité du questionnaire destiné recueillir en amont les souhaits du salarié.
Si aucun reclassement n’est possible, la voie vers la procédure de licenciement pour inaptitude médicalement constatée et impossibilité de pourvoir au reclassement sera ouverte, après que l’employeur ait informé le salarié par écrit des motifs qui s’opposent à son reclassement. L’inaction de l’employeur aura pour effet l’obligation de reprendre le paiement des salaires à l’issue du délai d’un mois précité, sans alternative possible.

Par Thibault Meiers, avocat à la cour, cabinet Dechert LLP
 
Source : Actualités du droit