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Innovation et protection des données personnelles : quel équilibre ?

Tech&droit - Données
15/03/2018
Comment conjuguer la nécessité d’innover avec l’exigence de protection des données personnelles ? Tel était le thème de l’événement organisé le 13 mars dernier par Syntec numérique et placé sous le haut patronage de Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État au Numérique. Retour sur les temps forts de cette rencontre.
Cette matinée a vu se confronter des points de vue parfois diamétralement opposés. Mais un constat rapprochait les intervenants : 2018 sera l’année de la donnée. Pas simplement en raison de l’entrée en vigueur du règlement (UE) 2016/679 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard des données à caractère personnel, qui constitue le cadre général de la protection des données (RGPD) et du vote de la loi sur la protection des données (TA Sénat, 2017-2018, n° 351), mais aussi parce qu’un autre débat va prendre de plus en plus de place : celui de la maîtrise des données.
 
Le règlement RGPD, une contrainte, mais aussi une opportunité
Au-delà des contraintes qu’il représente pour les entreprises, pour Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la CNIL, « il ne faut pas se tromper : le RGPD est une chance absolue pour l’Europe ». Ce texte va lui permettre de combler son retard sur la géopolitique de la donnée : « Le but du RGPD c’est de créer un marché unifié de la donnée et de permettre à l’Europe de récupérer sa souveraineté sur ses propres données ».
 
Côté entreprises, c’est plus compliqué, même si pour Mounir Mahjoubi, il n’y aura pas un avant et un après 25 mai 2018. La mise en œuvre du RGPD a commencé bien avant et se poursuivra bien après. « Le RGPD, c’est aussi la prise de conscience par de nombreuses entreprises qu’elles avaient des obligations », notamment les plus petites d’entre elles, même si pour ces dernières, le ministre appelle la CNIL à porter un regard bienveillant. Mais pour ces petites entreprises, le RGPD est également une opportunité d’après le secrétaire d’État au Numérique : « lorsqu’une PME va faire sa cartographie des données personnelles et se poser la question de leur optimisation, je suis sûr que cela va révéler des opportunités marketing, des opportunités de croissance » et déboucher sur de nouvelles offres de service.
 
Depuis quelque temps, toute la société prend conscience qu’il existe un sujet autour des données personnelles. Le règlement donne l’occasion d’ouvrir un large débat sur le sujet, car pour les citoyens aussi, ce règlement marque un tournant. Ce que souligne Mounir Mahjoubi, « on va enfin sortir d’un sujet qui était un sujet d’expert pour en faire un sujet qui rayonnera sur toute la société ». « Souvent je parle des grandes plateformes en disant que ce sont des prisons dorées : à partir du moment où on y est entré, on est limité dans sa capacité à choisir et à agir », poursuit le ministre, pour qui ces systèmes à standard fermé nous empêchent de partager nos informations avec d’autres. « Les sujets très importants, ce sont ceux de la fluidité de la concurrence et de l’accès aux données ». Une demande d’accès aux données captées par les plateformes qui devrait être simplifiée après le 25 mai prochain. « Notre responsabilité à tous, insiste le ministre, c’est que les citoyens et les entreprises s’emparent de ces nouveaux droits », pour que chacun ait, concrètement, la capacité de maîtriser ses données.
 
Les données, matière première
Pour Simon Chignard, data Editor chez Etalab, « on a vu un mouvement qui consiste à passer d’une donnée un peu luxe à une donnée comme une commodité ». Cela s’explique par la montée en puissance des systèmes d’information et leur capacité à gérer de plus en plus de données, mais aussi par la chute du coût des outils. Cette évolution a conduit à faire de la donnée personnelle une matière première, un actif économique.
 
Concrètement, aujourd’hui la donnée a trois facettes :
  • matière première (elle fonde des business models) ;
  • levier (elle est utilisée pour décider, produire, agir autrement) ;
  • actif stratégique (elle confère à celui qui la contrôle une place stratégique sur son marché)
Mais qu’est ce qui fait sa valeur ? Difficile à dire, d’autant que pour Simon Chignard, « il existe souvent une distorsion entre la perception que chacun d’entre nous peut avoir de la valeur de ses données et la réalité économique de cette valeur ». Un think tank libéral, GénérationLibre, prépare sur ce sujet, en partenariat avec la Toulouse school of economics, une modélisation économétrique afin d’essayer d’évaluer la valeur d’un "marché de données".
 
Vers une meilleure maîtrise de l’individu sur « ses » données
Permettre une meilleure maîtrise par les individus de leurs données est une condition essentielle à l’acceptabilité des innovations. C’est tout l’enjeu du droit à la portabilité des données (possibilité d'obtenir et de réutiliser ses données personnelles). Pour Isabelle Falque-Pierrotin, « cette aspiration à la maîtrise est une donnée nouvelle dans nos écosystèmes numériques ».
 
Célia Zolynsky, professeur de droit à l’Université de Versailles Saint Quentin, rappelle que ce nouveau droit est « un outil pour rééquilibrer les rapports de force entre les grands fournisseurs de services numériques et les utilisateurs ». Concrètement, « l’individu pourra récupérer ses données plus aisément qu’hier (…) sera à même désormais de migrer du service d’un opérateur à un autre, sans risquer de perdre son historique ». Un droit qui permet donc de ne plus être captif d’un acteur économique et de gérer soi-même l’usage de ses données personnelles (en permettant, par exemple, de partager ses données de santé pour faire avancer la recherche).
 
L’empowerment, autrement dit la faculté offerte aux individus de reprendre la main sur les données qu’ils génèrent, cache un important débat autour de la qualification des droits que ces données pourraient produire pour leur émetteur.
 
Propriété ou maîtrise de la donnée ?
« Personnellement, je suis contre cette idée de propriété des données », souligne le secrétaire d’État au Numérique. Mais « là où je serai toujours un soutien, c’est sur la maîtrise absolue et je pense qu’il est fondamental que, dès le plus jeune âge, l’on apprenne à maîtriser les données ». Une analyse partagée par la CNIL : « la donnée personnelle, ce n’est pas une commodité, parce que derrière la donnée personnelle, il y a une quelqu’un qui a des droits », rappelle Isabelle Falque-Pierrotin.
 
Autre point de vue du côté de Gaspard Koenig, philosophe, président de GénérationLibre, qui dénonce « l’illusion qu'il y a une maîtrise sans propriété » (v. également, Mes datas sont à moi, pour une patrimonialité des données personnelles, GénérationLibre, janv. 2018).
 
« Un débat qui doit avoir lieu », pour Christine Hennion, député, et qui soulèvera beaucoup de questions : à qui appartiendront ces données ? Aux industriels qui auront produit les capteurs qui généreront des données ? Aux acquéreurs de ces objets connectés ? Faudra-t-il les inscrire à l’actif des entreprises ?
 
Un débat loin d’être clos…
Source : Actualités du droit