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Éric Bothorel, député LREM : « La neutralisation de l’open data des décisions de justice que vient d’opérer le Sénat est contraire à l’esprit de la loi pour une République numérique »

Tech&droit - Données
29/03/2018
L'actualité se charge parfois de malice. Le 29 mars, le rapport Villani souligne la nécessité pour la France pour rester dans la course de l'intelligence artificielle de constituer et de mettre en partage des jeux de données. Une semaine plus tôt, le Sénat vote un amendement qui écarte toute possibilité de mettre à disposition les millions de données contenues dans les décisions de justice. L'avis d'Eric Bothorel, député LREM, sur ces mouvements qui peuvent apparaître bien contradictoires.
Actualités du droit : Vous présidez le groupe d'étude parlementaire dédié à l'économie de la donnée, de la connaissance et de l'intelligence artificielle. Que pensez-vous de la neutralisation par le Sénat de l’open data des décisions de justice ?
Eric Bothorel : Vous imaginez bien que je n’y suis pas favorable. Dans mon passé assez récent dans mon mandat de conseiller général, j’avais porté le premier portail d’open data à l’échelon départemental, qui existe toujours (ce portail qui se nomme Dat’armor héberge 150 jeux de données). C’est la première fois qu’un département portait un telle initiative. J’ai donc bien connu le sujet de ceux qui veulent libérer la donnée mais qui posent immédiatement la question de savoir comment ils vont pouvoir la contrôler par la suite.

Ce n’est pas du tout l’objectif de l’open data. La finalité de l’open data, c’est de délivrer les données aussi brutes que possible, tout en étant précautionneux sur certaines indications précises (localisation des titulaires du RSA, par exemple). Mais l’exception ne doit pas devenir la règle : le principe qui doit gouverner l’open data c’est bien la mise à disposition des données sans sélection ou modification en amont.

La neutralisation de l’open data des décisions de justice que vient d’opérer le Sénat (TA ° 76, 2017-2018, 21 mars 2018, art. 7; sur ce sujet v. Actualités du droit, 22 mars 2018, Adoption par le Sénat du projet de loi sur la protection des données personnelles : les modifications votées) est contraire à l’esprit de la loi pour une République numérique (L.  n° 2016-1321, 7 oct. 2016, JO 8 oct.).

ADD :  L’un de vos collègues au Sénat (Arnaud de Belenet) a indiqué lors des débats que maintenir une telle mesure placerait la France en matière de transparence au même niveau que la Russie et la Roumanie. Qu’en pensez-vous ?
E. B. : Je pense que c’est très vrai. Si l’on commence à réduire la portée même de l’open data (qui n’est pas juste un principe philosophique, mais qui sous-tend la capacité de moderniser notre justice et de faciliter l’accès et la lisibilité du droit pour les professionnels comme pour les justiciables, afin de mieux anticiper les solutions apportées par la justice).
Libérer de la donnée, c’est offrir de la connaissance supplémentaire et l’offrir à tous. C’est donc participer à un progrès.
Réduire la portée de ce progrès, c’est une régression et cela nous situerait incontestablement au même niveau que les pays qui sont les moins favorables à cette transparence. On quitterait probablement le podium des pays qui ouvrent leurs données, d’autant que d’autres pays font des progrès en ce sens.

La portée de la position adoptée par le Sénat ne se limite pas à l’interprétation des articles 20 et 21 de la loi pour une République numérique. Elle pourrait faire jurisprudence. On risque de retrouver une culture qui est celle de dire que l’on est assez d’accord avec une forme de démocratie, de libération des données au bénéfice de l’innovation, mais en assortissant rapidement ce principe de champs d’exception qui seront vite tellement importants qu’ils vont fermer toute possibilité de tirer des bénéfices de ces innovations.

ADD : Est-ce que la composition de la CMP est arrêtée ? Quand ce texte pourrait-il être examiné ?
E. B. : Du côté de l’Assemblée nationale, elle est arrêtée. On va retrouver les acteurs principaux de la première lecture qui sont la présidente de la commission des lois, Yaël Braun-Pivet, la rapporteur de la Commission des lois, Paula Forteza, ainsi que Rémy Rebeyrotte membre de cette même commission, et la rapporteur de la commission des affaires européenne, Christine Hennion, accompagnés de trois autres députés.

Cette commission mixte paritaire devrait se tenir au cours de la première semaine d’avril, soit la semaine prochaine.

ADD : Se pourrait-il que la rédaction initiale de l’article 11 soit rétablie ?
E. B. : Moi je veux y croire, parce que je crois que c’est souhaitable. Mais l’open data est un point parmi d’autres. Ce n’est pas le seul élément sur lequel portera la discussion et sur lequel on va devoir transiger si l’on souhaite une sortie positive, c’est-à-dire une CMP conclusive.

J’espère que le Sénat ne va pas rester dans une doctrine politique. Je pense que les uns et les autres sont extrêmement attachés à la modernisation de la justice et conscients de la nécessité de la réformer.

Je souhaite vraiment que sur ce sujet de l’open data, le Sénat entende les arguments avancés par le groupe LREM, qui sur ce point est solidaire de la position du gouvernement.

La rédaction initiale de l’article 11 pourrait donc être rétablie.

ADD : Est-ce que, concrètement, il existe un calendrier de déploiement de cet open data ?
E. B. : C’est vrai que beaucoup de dispositions de la loi Lemaire n’ont pas encore été traduites dans des décrets et la partie open data n’y échappe pas (NDLR : deux décrets sont attendus : ils portent sur les conditions de mise à la disposition du public à titre gratuit des jugements de premier ressort, d’appel ou de cassation (ordre judiciaire et ordre administratif) ; la date de publication envisagée était initialement fixée en janvier 2017).
Je veux croire que l’accélération du calendrier lié à l’entrée en vigueur le 25 mai prochain du RGPD entraîne enfin l’ouverture des décisions de justice. Mais je n’ai pas connaissance, à l’heure où je vous parle, d’une date de publication au Journal officiel de ces décrets.

Le ministre Mounir Mahjoubi nous aide à faire avancer ces sujets au sein du gouvernement. Il est pleinement conscient des enjeux relatifs à l’open data et travaille avec nous, parlementaires, dans le sens du progrès.
 
Propos recueillis par Gaëlle MARRAUD des GROTTES
 
Source : Actualités du droit