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Protocole de fin de grève : la présomption de justification applicable sous conditions

Social - IRP et relations collectives, Fonction rh et grh
06/06/2018
À partir du moment où le protocole de fin de grève remplit les conditions permettant de lui attribuer la valeur d’un accord collectif, la présomption de justification en matière d’égalité de traitement a vocation à s’appliquer aux avantages qu’il contient : c’est ce qu’admet la Cour de cassation dans un arrêt du 30 mai 2018, qui se prononce sur la nature précise du protocole de fin de conflit depuis l’intervention de la loi du 20 août 2008.

Pendant longtemps, pour que l’accord de fin de grève ou de fin de conflit puisse s’analyser en un accord collectif d’entreprise, il suffisait qu’il ait été signé « après négociation avec les délégués syndicaux, par l’un d’entre eux » (Cass. soc., 15 janvier 1997, n° 94-44.914 ; Cass. soc., 8 avril 2009, n° 08-40.256). Mais avec l’intervention de la loi du 20 août 2008, qui a renforcé la légitimité des accords collectifs en exigeant des syndicats représentatifs signataires l’atteinte d’un certain seuil d’audience électorale (à l’origine, 30 % des suffrages exprimés au premier tour), il était nécessaire pour la Cour de cassation de réinterroger sa jurisprudence antérieure et de redéfinir, au regard du système actuel, les conditions permettant de qualifier un protocole de fin de grève d’accord collectif. Elle y procède dans un arrêt du 30 mai 2018 qui distingue selon que le protocole a été conclu avant ou après la mise en application de la loi du 20 août 2008.
L’arrêt en tire ensuite toutes les conséquences en matière d’égalité de traitement : lorsque le protocole de fin de conflit a la valeur d’un accord collectif, il peut se voir appliquer la présomption de justification des différences de traitement.

Protocole conclu en 2000 au bénéfice des salariés d’un établissement

Il était question, dans cette affaire, d’un protocole de fin de grève signé le 20 décembre 2000 par deux délégués syndicaux CGT et CFDT. Ce protocole accordait un avantage salarial aux seuls salariés affectés à un établissement donné. Le personnel de l’entreprise, affecté aux autres établissements, en a réclamé l’application au nom du principe d’égalité de traitement. Cette hypothèse n’est pas sans rappeler une jurisprudence ayant récemment appliqué la présomption de justification aux différences de traitement institué par accord collectif d’entreprise entre des salariés relevant d’établissements différents (Cass. soc., 4 octobre 2017, n° 16-17.517 : « les différences de traitement entre des salariés appartenant à la même entreprise mais à des établissements distincts, opérées par voie d’accords d’entreprise négociés et signés par les organisations syndicales représentatives au sein de l’entreprise, investies de la défense des droits et intérêts des salariés de l’ensemble de cette entreprise et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle »).

Pour pouvoir opposer cette jurisprudence à la demande de rappel de salaires formée par les salariés, encore fallait-il admettre : d’abord que le protocole de fin de conflit signé en 2000 avait bien la valeur d’un accord collectif ; et, en cas de réponse positive, que cet accord collectif, qui n’obéit pas nécessairement à la condition de majorité électorale issue de la loi du 20 août 2008, puisse bénéficier de la présomption de justification, alors que cette dernière trouve précisément son fondement jurisprudentiel dans la légitimité que les syndicats signataires tirent du vote exprimé en leur faveur par les électeurs. Sur ces deux points, la Cour de cassation a franchi le pas.

Protocole valant accord collectif

L’arrêt du 30 mai 2018 pose les conditions permettant de qualifier le protocole de fin de conflit d’accord collectif. Elle distingue selon qu’il a été conclu avant ou après « l’expiration de la période transitoire instaurée aux articles 11 à 13 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 ». La période transitoire visée par ces dispositions s’étend jusqu’aux résultats des premières élections menées dans l’entreprise ou l’établissement sur la base d’un protocole préélectoral dont la première réunion de négociation était postérieure au 21 août 2008.

Ainsi, selon l’arrêt, un protocole de fin de conflit constitue un accord collectif dès lors que :

– « conclu avant l’expiration de la période transitoire instaurée aux articles 11 à 13 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale, il a été signé après négociation avec les délégués syndicaux par l’un d’entre eux. » Ces protocoles restent donc soumis à la jurisprudence antérieure qui les assimilait à un accord collectif dès lors qu’ils étaient signés par au moins un délégué syndical ;

– « conclu postérieurement à l’expiration de la période transitoire précitée, il a été négocié et signé avec des organisations syndicales représentatives dans l’entreprise ou l’établissement dans les conditions visées aux articles L. 2232-12 et L. 2232-13 du Code du travail, dans leur rédaction applicable en la cause. » Ces protocoles doivent, pour avoir la valeur d’un accord collectif, répondre à la condition de majorité applicable à la date de leur conclusion. Dans le cas d’espèce, le protocole de fin de conflit signé en 2000 avec des délégués syndicaux avait donc la valeur d’un accord collectif.

Application de la présomption de justification

À partir du moment où le protocole de fin de conflit vaut effectivement accord collectif, rien ne s’oppose à l’application de la présomption de justification des différences de traitement instaurées entre des salariés d’établissements différents. Ainsi, conclut l’arrêt, « les différences de traitement entre des salariés appartenant à la même entreprise de nettoyage, mais affectés à des sites ou des établissements distincts, opérées par voie d’un protocole de fin de conflit ayant valeur d’accord collectif, sont présumées justifiées, de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle ».

En l’espèce, l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence ayant fait droit à la demande de rappel de salaires a donc été cassé sans renvoi, faute pour les salariés demandeurs de pouvoir démontrer que la différence de traitement introduite par le protocole était étrangère à des considérations de nature professionnelle. On notera que cet arrêt se démarque d’une récente décision ayant appliqué à un protocole de fin de conflit les règles de preuve habituelles en matière d’égalité de traitement, exigeant ainsi que des justifications objectives et pertinentes soient apportées à une différence de traitement instituée entre les grévistes selon l’importance de leur participation au conflit (Cass. soc., 13 décembre 2017, n° 16-12.397). Ce qui pouvait laisser entendre que la présomption de justification ne s’appliquait jamais à un protocole de fin de conflit, même en dehors de la différence de traitement litigieuse. Mais cet arrêt ne se prononçait pas sur la nature de l’accord de fin de conflit et l’on sait désormais que la présomption est invocable lorsque le protocole vaut accord collectif.

Source : Actualités du droit