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Image  Anne Pitault, avocat spécialiste en droit social au sein du cabinet Cornet Vincent Ségurel

Après l'affaire FO, ce qu'il faut savoir sur le fichage des salariés

Social - IRP et relations collectives, Fonction rh et grh
29/10/2018
« Collabo », « bête », « ordure », « voleur », « niais », « pas fiable », « peu courageux ». Voici quelques-uns des charmants sobriquets donnés par le syndicat Force Ouvrière à certains de ses cadres dans un fichier interne récemment dévoilé. Ce fichage apparaît comme inacceptable de la part d’un syndicat dont l’objet est justement de défendre les intérêts des salariés, d’autant plus lorsque ce même syndicat avait eu l’occasion de s’insurger à maintes reprises contre de telles pratiques managériales. Au cours des dernières années, de nombreuses entreprises notoirement connues ont également été touchées par des scandales similaires relatifs au fichage des salariés.
 
Définition du fichage et des données personnelles

Le fichage des salariés recouvre une problématique extrêmement vaste qui nécessite d’en définir les termes.  Ainsi, la notion de « fichier » est juridiquement définie comme tout ensemble structuré de données à caractère personnel accessibles selon des critères déterminés. Tandis qu’une donnée personnelle vise toute information permettant d’identifier directement ou indirectement une personne. Au sein des données personnelles, il convient de distinguer les données dites « sensibles » qui recouvrent toute information concernant l’origine raciale ou ethnique, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses, l’appartenance syndicale, la santé ou l’orientation sexuelle.
 
Une frontière délicate entre fichage légal et fichage illégal

Plus que le support, c’est le contenu des informations recueillies dans chaque fichier informatisé ou papier qui est réglementé par le droit. Ainsi, les articles L1222-2 et suivants du Code du travail précisent que « Les informations demandées sous quelque forme que ce soit à un salarié ne peuvent avoir comme finalité que d’apprécier ses aptitudes professionnelles. Ces informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l’évaluation de ses aptitudes. » Le Code du travail ajoute que « Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance ».
Par conséquent, les données collectées peuvent porter sur l’identité, la formation, la gestion de carrière, l’évaluation professionnelle, mais en principe les données sensibles susvisées ne peuvent pas être recueillies et exploitées, sauf en cas de consentement explicite des personnes concernées.
 
L’évaluation professionnelle des salariés et ses limites

Au sein d’une entreprise il est primordial que l’employeur puisse sereinement continuer à évaluer ses salariés afin de contrôler leur progression et envisager leur évolution professionnelle. En pratique, la mise en place d’un fichier d’évaluation des performances des salariés s’avère souvent nécessaire afin d’encadrer cette pratique.
Les commentaires insultants ou subjectifs sont évidemment prohibés, mais également tous les commentaires qui n’ont pas un lien direct avec le travail du salarié. Ainsi, seules sont autorisées les évaluations objectives qui doivent être à la fois pertinentes et non outrancières. Pour éviter tout dérapage, nous conseillons à nos clients de privilégier les commentaires constructifs qui font référence à des faits précis, datés et circonstanciés. Cela doit souvent passer par une formation des managers et de strictes consignes de l’employeur. Il est d’ailleurs préférable que les fiches d’évaluations des salariés soient vérifiées et validées avant d’être conservées dans un fichier.
Pour en revenir à l’actualité, le fichage illicite et discriminatoire des cadres du syndicat Force Ouvrière est l’exemple assez grossier de ce qu’il ne faut absolument pas reproduire. En effet, ce fichier fait à la fois apparaître des observations subjectives et déplacées sur les personnes telles que : « Trop intelligent pour entrer au bureau fédéral » ou « pas assez loyal », mais également des informations sensibles sur l’orientation politique, philosophique ou sexuelle des salariés comme : « plutôt de droite », « anarchiste », « trotskiste », « franc maçon », « homo ».
 
Le traitement des données personnelles à l’aune du RGPD

Ces scandales font également écho à l’actualité juridique et aux récentes réformes concernant la protection des données personnelles des salariés. En effet, avant l’entrée en vigueur du Règlement Général relatif à la Protection des Données (RGPD) et conformément à la loi informatique et libertés de 1978, les entreprises devaient systématiquement effectuer des formalités préalables auprès de la CNIL lorsque des données personnelles des salariés étaient récoltées, utilisées ou conservées dans un fichier.
Désormais, depuis son entrée en vigueur le 25 mai 2018, le RGPD se substitue à ce régime de formalités en créant un système de contrôle fondé sur la responsabilisation des entreprises qui doivent démontrer la conformité de leurs traitements informatiques avec la protection des données personnelles des salariés.
Le RGPD est donc l’opportunité pour les entreprises de s’interroger sur la pertinence des données collectées sur les salariés à travers les différents principes qu’il pose. Ainsi, les données à caractère personnel doivent être traitées de manière licite, loyale et transparente au regard de la personne concernée. Elles doivent également être collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes. Ces informations doivent être adéquates, pertinentes et exactes, ce qui implique une mise à jour des données. Et pour finir, les informations doivent être conservées pour une durée déterminée et traitées de façon à garantir leur sécurité et un accès limité à certaines personnes.
 
Droit d’accès et de rectification, droit d’opposition, droit à l’oubli et droit à la portabilité

Le RGPD est également venu renforcer les droits des salariés sur leurs données personnelles. Par conséquent, les salariés doivent être informés du traitement informatique des données et ont le droit d’accéder à toutes les données les concernant. Les moyens d’exercer effectivement ces droits doivent être mis à la disposition des salariés par le biais d’un formulaire de contact sur un site web, un numéro de téléphone, ou une adresse mail.
Ainsi, en théorie, tout salarié a le droit d’accéder à ses données d’évaluation sur simple demande et même en obtenir une copie. Pourtant, en pratique, les fichiers d’évaluation sont souvent considérés par les managers comme des informations sensibles non communicables aux salariés, et les salariés ne demandent que très rarement la communication de ces fichiers.
Chaque salarié peut également demander la rectification ou la suppression de certaines informations. En outre, le droit à l’oubli permet à une personne d’obtenir du responsable du traitement des données une limitation de la durée de conservation des données à caractère personnel. Pour finir, le RGPD a introduit le droit à la portabilité qui permet à une personne de réutiliser des données la concernant pour ses besoins personnels. Ces droits s’exercent sous certaines conditions strictement énumérées.
 
Des sanctions applicables mais encore peu appliquées …

Les sanctions de la Cnil peuvent aller d’un simple avertissement public jusqu’à de lourdes amendes. Pour l’instant, les contrôles de la Cnil et les amendes restent ciblés sur les grandes entreprises. Cependant, suite à l’entrée en vigueur du RGPD, la Cnil risque de renforcer les contrôles des fichiers. Dans certains cas, la Cnil peut également transmettre les éléments dont elle dispose à la justice si elle constate des infractions pénales. Ces infractions pénales visent notamment les atteintes aux droits de la personne résultant des fichiers ou des traitements informatiques qui sont prévues aux articles 226-16 et suivants du Code pénal. L’employeur peut également craindre des sanctions civiles dans certaines hypothèses.
 
Par Anne Pitault, avocat au sein du cabinet Cornet Vincent Ségurel
 
 
 
 
Source : Actualités du droit