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Enjeux du numérique : avocats et juridictions administratives restent vigilants

Tech&droit - Données, Intelligence artificielle
20/06/2019
Comment concilier l’avènement du numérique avec le respect des droits les plus fondamentaux ? Quelle place pour le juge administratif à l’heure du développement des algorithmes ? Des problématiques au cœur de la neuvième édition des États généraux du droit administratif qui s’est tenue le 18 juin 2019.
Internet, succès des réseaux sociaux, avènement des plateformes numériques. Indéniablement, le numérique occupe aujourd’hui une place centrale dans notre société. Et l’écosystème juridique n’échappe pas à son essor.

En effet, l’espace numérique est propice au développement de certains droits et libertés, en particulier la liberté d’expression. Toutefois, son expansion n’est pas sans poser des difficultés. Car, en donnant à chaque internaute une tribune, cet espace favorise une augmentation significative des propos haineux. Conscient de la diffusion massive des discours de haine sur la toile, le législateur se penche actuellement sur les moyens de l’endiguer.

Outre cette relation ambivalente avec nos droits et libertés, le numérique impacte également les relations entre les citoyens et l’administration, notamment à travers un renforcement de l’accessibilité aux services publics. Désormais nous pouvons échanger avec l’administration indépendamment de notre localisation. « La fracture numérique tend à se résorber », estime la présidente du CNB, Christiane Féral-Schuhl.
 
Une nouvelle version de Télérecours
Après une phase d’expérimentation dans les tribunaux administratifs de Cergy-Pontoise, de Melun et au Conseil d’État, l’application Télérecours citoyens est utilisable sur tout le territoire depuis le mois de novembre 2018 ( v. Télérecours citoyens : succès de la plateforme après trois de généralisation, Actualités du droit, 28 mars 2019).

Permettant aux administrés de saisir la justice administrative par internet, cet outil contribue fortement à renforcer l’accès à la justice. Celui-ci offre à tout citoyen la possibilité de déposer directement en ligne des requêtes qui ne nécessitent pas de représentation par avocat. Une plateforme qui rencontre un franc succès. « 12 % des personnes éligibles à cette application l’ont utilisé » indique Bruno Lasserre. Le vice-président du Conseil d’État qui précise que des travaux sont déjà en cours pour refondre cet outil.

Un succès qui contraste avec les critiques adressées par les avocats au réseau privé virtuel des avocats (RPVA). La présidente du CNB, qui se veut rassurante, indique que la profession « travaille activement à un RPVA 2 ». En effet, un RPVA V2 est actuellement en phase de beta-test.
 
Open data : une demande de protection de la part des avocats
Selon Bruno Lasserre, vice-président du Conseil d’État, « le numérique illustre bien cette quête constante d’équilibre qui est la caractéristique même du droit ». Une recherche d’équilibre que défend également la plus Haute juridiction administrative en matière d’open data.

Ainsi, une réflexion est actuellement menée au sein du Conseil d’État concernant le décret visant à mettre en œuvre l’article 33 de la loi de programmation 2018-2022 ( v. Reconnaissance constitutionnelle de la transformation numérique du monde juridique : de l’open data aux LegalTech, Actualités du droit, 27 mars 2019).

Selon l’échéancier d’application de cette loi, mis en ligne le 18 juin dernier, la publication de ce décret tant attendu pourrait avoir lieu le premier septembre 2019 (v. Loi de programmation pour la justice : l’échéancier de mise en application de la loi en ligne, Actualités du droit, 18 juin 2019).

Pour rappel, l’article 33 de ce texte prévoit notamment que « Les données d'identité des magistrats et des membres du greffe ne peuvent faire l'objet d'une réutilisation ayant pour objet ou pour effet d'évaluer, d'analyser, de comparer ou de prédire leurs pratiques professionnelles réelles ou supposées. La violation de cette interdiction est punie des peines prévues aux articles 226-18,226-24 et 226-31 du Code pénal, sans préjudice des mesures et sanctions prévues par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés » (L. n° 2019-222, 23 mars 2019, JO 24 mars).

Mais Bruno Lasserre va plus loin. « Je souhaite que les juridictions administratives aient une vraie stratégie en matière d'open data et le point de vue des avocats est indispensable dans cette démarche » a-t-il déclaré.
Côté avocat, le big data suscite de vives inquiétudes. C’est pourquoi, le CNB vient de préciser sa position en la matière. Lors d’une assemblée générale des 14 et 15 juin 2019, les avocats ont demandé qu’« un traitement identique soit réservé aux données d’identité des avocats dans le cadre de la diffusion des décisions de justice en open data » (v. Open data et nom des avocats : le CNB demande la même protection que celle accordée aux magistrats, Actualités du droit, 18 juin 2019).
 
Un plaidoyer en faveur d’un encadrement des algorithmes
Comment le juge administratif va pouvoir contrôler la légalité de la décision de la personne publique lorsque celle-ci sera fondée sur l’exécution d’un algorithme ? Quid de l’erreur manifeste d’appréciation dans une telle hypothèse ? L’essor des algorithmes impacte inéluctablement l’office du juge. « Nous, avocats et juges, devons être en mesure de travailler sur les résultats de ces algorithmes » affirme Christiane Féral-Schuhl. Concrètement, il s’agit de veiller à l’existence de garde-fous. « Nous devons assurer, au nom de la protection des justiciables et des valeurs de notre État de droit, que les algorithmes qui exploitent les décisions de justice respectent les principes de neutralité et de transparence » poursuit la présidente du CNB.

Bruno Lasserre tient à souligner pour sa part qu’il « y a une part irréductible de complexité » qu’un algorithme ne peut saisir. Autrement dit, l’algorithme prédictif peut passer à côté de la subtilité d’une affaire. Le risque essentiel étant, selon le vice-président du Conseil d’État, celui d’une « déshumanisation de la justice »…
Source : Actualités du droit