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Image  Mickael d’Allende, avocat associé, cabinet Altana

Conseil d’entreprise : pari gagnant ?

Social - IRP et relations collectives
25/01/2018
A l’ombre du désormais célèbre comité social et économique, le conseil d’entreprise constitue un nouvel outil laissé à la disposition des partenaires sociaux, leur offrant la possibilité d’imaginer les relations sociales de demain.
Les ordonnances « Macron » du 22 septembre 2017 ont chamboulé le paysage des institutions représentatives du personnel. Délégués du personnel, comité d’entreprise et CHSCT céderont progressivement leur place au comité social et économique (« CSE »), disparaissant ainsi des entreprises françaises au plus tard à l’issue d’une période transitoire qui expirera le 1er janvier 2020.
 
Le CSE n’est toutefois pas le seul organe issu de cette réforme majeure permettant de fusionner des instances qui ont façonné les relations sociales des entreprises ces trente dernières années. Les ordonnances offrent en effet également aux partenaires sociaux la possibilité d’innover en instaurant un « conseil d’entreprise », s’inspirant en cela librement - et prudemment - du système allemand.
 
Le conseil d’entreprise : pourquoi ?

Deux grandes différences séparent le CSE du conseil d’entreprise.
 
Tout d’abord, ce dernier se voit confier le rôle d’unique négociateur et signataire des accords collectifs. Ces derniers sont alors conclus par la majorité des membres titulaires élus du conseil d’entreprise ou par un ou plusieurs membres titulaires ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles.
 
Si les dernières évolutions législatives ont détricoté le monopole de négociation collective dont disposaient les délégués syndicaux au sein des entreprises, la mise en place d’un conseil d’entreprise va plus loin : elle vide leur rôle de toute substance.
 
Retenir une telle formule permet de supprimer la division entre les instances d’information et de consultation (comité d’entreprise, CHSCT, CSE dès les prochaines élections) et celles vouées à la signature des accords collectifs, en l’occurrence les délégués syndicaux (distinction généralement artificielle puisque ces derniers sont, dans la très grande majorité des cas, des élus du personnel, changeant simplement de « casquette » au gré des réunions). La mise en place d’un conseil d’entreprise est porteuse d’un espoir : celui d’un dialogue social fluide, simple, cohérent. Efficace.
 
Par ailleurs, l’accord instituant le conseil d’entreprise doit fixer la liste des thèmes - tels que l’égalité professionnelle - soumis à l’avis conforme du conseil d’entreprise (ou, pour dire les choses autrement, soumis à son droit de veto).
 
En dehors de la formation professionnelle, qui constitue nécessairement un thème relevant de cette dynamique de fonctionnement, les parties disposent de la plus grande latitude pour déterminer les sujets qui relèvent ou non de ce qui ressemble – timidement et toutes proportions gardées – à la « cogestion » telle qu’elle existe outre-Rhin.
 
Les directions d’entreprise souhaiteront sans doute, dans un premier temps, rester prudentes pour éviter un affaiblissement de leur marge d’action unilatérale s’agissant des sujets les plus étroitement liés à la stratégie d’entreprise (fusions, prises de participations, réorganisations, licenciements, etc.).
 
Le conseil d’entreprise : comment ?

D’habitude redoutable dès qu’il s’agit d’ensevelir ses « usagers » sous des centaines de pages de textes, le code du travail n’est pas très bavard s’agissant du conseil d’entreprise : seuls dix articles en dessinent les contours. Mais il est vrai qu’un large renvoi est fait s’agissant de ses modalités de fonctionnement aux règles applicables au comité social et économique.
 
En vertu de l’article L. 2321-1 du Code du travail, le conseil d’entreprise peut être institué par accord d’entreprise majoritaire conclu par des délégués syndicaux ou, pour les entreprises dépourvues de délégué syndical, par accord de branche étendu.
 
Deux observations :

- ces modalités de mise en place sont contraignantes, puisqu’en l’état de la réglementation, il n’est pas possible de mettre en place un conseil d’entreprise au sein d’une entreprise dépourvue de délégués syndicaux ou qui ne relèverait pas d’une convention collective offrant une telle possibilité ;
- ce sont donc les syndicats, négociateurs historiques des textes sociaux, qui décident de confier leurs attributions à une instance pour qu’elle devienne dès lors plus puissante que le « simple » CSE. En clair, en l’état des textes, seules des personnes dotées du pouvoir de signer des accords collectifs peuvent confier un tel pouvoir à un conseil d’entreprise.
 
Un tel bridage est regrettable. Sans doute de prochaines interventions du législateur viendront-elles élargir les possibilités de mise en place d’un conseil d’entreprise (la piste du référendum, remis au goût du jour dans le code du travail depuis quelques années, mérite d’être explorée).
 
Le conseil d’entreprise : pour qui ?

Novateur, le conseil d’entreprise semble pour l’heure assez peu adapté aux très grandes entreprises. Au sein de celles-ci, il est peut-être plus simple de : répartir les rôles entre plusieurs instances ; trouver un accord avec quelques délégués syndicaux qu’avec un grand nombre d’acteurs autour de la table (même si le code du travail permet à l’accord créant le conseil d’entreprise de mettre en place une délégation spécialement chargée des négociations). Difficile toutefois d’être très tranché sur ce point : la réalité sociale des entreprises françaises est très variable, d’une structure à l’autre, d’un secteur d’activité à l’autre.
 
Il peut en revanche clairement séduire plusieurs types d’entreprises. D’abord celles au sein desquelles les « casquettes » d’élus et de délégués syndicaux relèvent du pur artifice, et qui cherchent à donner davantage de souffle au dialogue social. Mais également les organisations qui voient la mise en place de cette instance comme un moyen d’attirer, à la table des discussions sur les sujets majeurs de la vie de l’entreprise, des talents à la recherche de responsabilités et d’un rôle de partenaire économique dépassant leurs seules fonctions.
 
Les prochains mois nous apprendront de quelles manières les entreprises se saisiront des possibilités offertes par le conseil d’entreprise. Nous saurons alors s’il apparaît comme un instrument réservé à une fraction limitée des sociétés françaises ou s’il porte en germe les relations sociales de demain. Qu’il soit permis ici de former un vœu : celui de voir la chance sourire aux audacieux.

Par Mickael d’Allende, avocat associé, Cabinet Altana
 
 
 
 
 
 
Source : Actualités du droit