<< Retour aux articles
Image  Nicole Belloubet, ministre de la Justice

Numérique et justice : un stress test réussi ?

Tech&droit - Données
22/06/2020
Le 9 juin 2020, la ministre de la Justice est venue s’expliquer en séance publique sur sa gestion de la justice pendant l’état d’urgence sanitaire. Si l’on met de côté le sujet délicat de la détention provisoire, le numérique a été au centre de bien des critiques. Faisons le point, chiffres à l’appui.
On attendait la garde des Sceaux sur son bilan en faveur de la numérisation de la justice, mais pas aussi tôt. Finalement, la pandémie a été le catalyseur d’une prise de conscience. Équipements, applicatifs métiers, réseau : la maturité numérique du service public de la justice a été brusquement exposée.
 
Rappelons, in limine litis, que Nicole Belloubet avait élevé, en 2018, la transformation numérique au rang de priorité. Son programme prévoyait, notamment, un investissement de 530 millions d’euros sur cinq ans, avec un objectif ambitieux : la numérisation de 100 % des démarches administratives (v. Arnaud Mazier, chef de service des SIC (DSI), ministère de la Justice : « Ce que l’on vise, c’est passer en format numérique natif les chaînes de décisions civiles et pénales, Actualités du droit, 22 oct. 2018 ; et pour faire le point sur l’avancée quinze mois plus tard, v. Arnaud Mazier, chef du service du numérique du ministère de la Justice : « Justice.fr n’est pas uniquement le portail des justiciables, c’est également une plateforme qui permet d’offrir d’autres services aux administrés », Actualités du droit, 20 janv. 2020). « C’est pour moi presque une obsession », avait d’ailleurs déclaré Nicole Belloubet lors de la présentation de ce budget (v. Budget 2019 de la Justice : une hausse au service de la future réforme, Actualités du droit, 26 sept. 2018). Ce qui passait à la fois par le déploiement d’équipements techniques (fibre optique, parc de visioconférence, ultraportables, etc.) et par la mise à disposition d’applications pour la chaîne civile comme pénale, avec une équipe dédiée à l’accompagnement du changement.
 
Finalement, à mi-parcours de ce vaste chantier, la crise a contraint à tirer un bilan d’étape. « Comment expliquez-vous que ce plan de transformation numérique n’ait pas produit d’effets – ou si peu, s’interroge ainsi Patrick Hetzel ? La dématérialisation des procédures civiles aurait dû permettre la poursuite des mises en état et la notification des jugements, mais force est de constater que ni les magistrats, ni encore moins les greffiers, ne peuvent tous travailler de chez eux, faute d’avoir accès à des logiciels sécurisés » (Assemblée nationale, 2019-2020, compte rendu, 9 juin 2020).
 
Une situation d’autant moins satisfaisante pour certains parlementaires que la dotation budgétaire allouée à la transformation numérique du service public de la justice est conséquente : « alors que votre ministère a bénéficié d’une levée de fonds à faire pâlir d’envie bien des start-ups du numérique – plus d’un demi-milliard d’euros sur cinq ans –, qu’en est-il de l’effectivité de cette justice de XXIe siècle, censée être plus accessible, plus rapide, plus efficace et plus transparente ?, se demande Yannick Favennec Becot.
 
 
 
Confinement et numérique de la justice en quelques chiffres
– plus de 85 applications utilisables en télétravail (contre 25 avant la crise) ;
– 2 200 systèmes de visioconférence ;
– capacité du réseau virtuel privé : 40 000 connexions ;
– acquisition de 200 ponts téléphoniques pour réaliser des audioconférences ;
– parc d’ultraportables : 25 000 unités au 8 juin 2020 et 35 000 d’ici fin de l’année.
 
 
Ce qu’il faut retenir, c’est que sur les presque 530 millions alloués (526, très exactement), plus de deux tiers ont déjà été investis en mai 2020 (353 millions).
 
 
Équipement des personnels de justice : qu’en est-il réellement ?
Une insuffisance d’équipements en ordinateurs portables.- « Globalement, la proposition du « tout numérique » n’a pas fonctionné, faute d’outils communs permettant les échanges de fichiers », note l’USM (USM, 3 juin 2020). Une « faille » pour ce syndicat, dont la résolution est la « clé pour surmonter la prochaine crise ». Et pour le syndicat de la magistrature, « alors que le numérique est mis en avant comme l’un des chantiers prioritaires de la ministre de la Justice, nous ne pouvons que déplorer la réalité vécue en juridiction, la crise n’ayant fait que mettre en avant un dysfonctionnement structurel » (Syndicat de la magistrature, 10 juin 2020). Avec des problèmes bien connus : « Il existe un problème d’une manière générale de compatibilité des logiciels utilisés par la justice dès lors que l’on repasse sur un ordinateur personnel, ce qui a été nécessaire pour certains collègues pendant le confinement pour être en mesure d’imprimer des documents » (Syndicat de la magistrature, 10 juin 2020).
 
Le point noir, désormais bien identifié réside dans le très faible taux d’équipement des greffiers en ordinateurs portables. « Il n’est pas tolérable que le télétravail soit possible dans presque tous les secteurs professionnels en France mais que la justice, faute de moyens suffisants, ne puisse pas fournir aux services des greffes des outils numériques leur permettant de traiter les dossiers à distance » déplore le député Stéphane Viry. Autrement dit, pour sa collègue Cécile Untermaier, « le télétravail était impossible pour les greffiers, faute de logiciel dédié à la procédure civile et d’ordinateurs portables. Les magistrats ont rendu leurs jugements, mais ceux-ci attendent une notification. Ce que les avocats pouvaient faire avec le RPVA, le réseau privé virtuel des avocats, la justice ne le pouvait pas, faute d’un équipement suffisant en logiciels et en matériel numérique ».
 
Couplé avec le fait que les applicatifs métiers de ces professionnels de la justice ne sont pas webisés (c’est-à-dire qu’ils ne sont pas accessibles par l’intranet, mais uniquement via le serveur local de chaque juridiction), cela a eu tout simplement pour conséquence de rendre impossible aux greffiers l’exercice de leur mission. Ce qu’il faut bien comprendre, en effet, c’est que c’est le cas de l’ensemble des applicatifs de la chaîne civile (WinCi, Wineur, TUTI, NATI, SATI, CITI, IPWEB, etc.). Ce sont donc les magistrats qui ont assumé la gestion des échanges avec les avocats jusqu'au 11 mai. La plateforme Atlas a été mobilisée à cette fin par certaines juridictions. Une pratique qui non seulement n’a pas été généralisée, mais qui n’a pas toujours fonctionné. D’autres ont eu recours à des applications externes du type WeTransfer pour éviter l’échange de dossiers physiques.
 
Une faiblesse mise en exergue par la pandémie, admise par la ministre : « tous les magistrats sont dotés d’ultraportables ; un certain nombre de greffiers en ont reçu aussi, mais pas en nombre suffisant, je le reconnais. Il est évident que c’est sur ce point que doit porter notre effort. J’ajoute qu’outre les ultraportables dont nous disposions déjà, nous en avons distribué 4 000 de plus et que 5 000 supplémentaires seront distribués d’ici la fin de l’année 2020 ».
 
Faute d’ordinateur portable, des maillons importants de la chaîne civile ont fait défaut, paralysant littéralement le traitement de certains contentieux : « La notification des décisions, qui relève des greffiers, a rencontré des difficultés, du fait (…) que nous ne les avons pas suffisamment dotés en matériel informatique ni en applications logicielles : c’est l’axe majeur de progrès sur lequel je dois désormais travailler, a insisté à plusieurs reprise la ministre de la Justice. Nous pouvons avancer assez vite dans ce domaine ».
 
Si depuis 2017, l’équipement en outils de mobilité des magistrats et fonctionnaires a fait l’objet de dotation de plus 14 000 ultra-portables au sein des services judiciaires, côté greffier, le bât blesse sérieusement. Leur taux d’équipement est, en effet, de moins de 7 %, selon les chiffres du ministère. Pourquoi un taux si faible ? Une des explications pourrait résider dans le fait que les outils utilisés par les greffiers ne sont de toute façon, à ce stade, pas accessibles en télétravail. Autrement dit, ce n’est qu’avec les applications rénovées dans le cadre du programme Portalis (v. infra) que le télétravail sera rendu possible, ce qui justifiera alors un plan massif d’équipement en ultra portables. Sans attendre cette échéance, un plan de dotation visant à couvrir le maximum de greffiers d’ici fin 2020 est cependant en cours.
 
C’est différent pour la chaîne pénale, dont les applicatifs fonctionnent le plus souvent via l’intranet (Cassiopée, APPI, PLEX, etc.). Et le déploiement anticipé de la plateforme PLEX, un système sécurisé de transfert de dossiers lourds entre avocats et magistrats, a soulagé à partir du 12 mai 2020 les échanges entre eux. Actuellement, selon les derniers chiffres du ministère, dans une même journée, environ 380 avocats se connectent, en moyenne, à cette plateforme. Certains jours, les mille connexions ont été dépassées.
 
Des magistrats regrettent cependant que PLINE, son pendant interne à la chancellerie (pour y avoir accès, il suffit d'avoir une adresse en domaine Justice.fr ou Justice.gouv.fr), n’en soit pas au même stade et qu’il ne soit accessible ni aux enquêteurs, ni aux assistants spécialisés, ni aux assistants de justice, ce qui aurait permis de faciliter les échanges. Une demande bien identifiée et pour laquelle des évolutions se profilent, s’agissant précisément du périmètre d’acteurs autorisés à avoir accès à cette plateforme. Haffide Boulakras, directeur du programme Procédure pénale numérique, précise ainsi que « des partenariats sont en cours avec d’autres acteurs interétatiques, notamment les enquêteurs et les douanes ». Et d’autres s’annoncent.
 
Une divergence de situation pénale/civile dénoncée par le Syndicat de la magistrature : « pourquoi la justice pénale a pu être dotée d’outils différents de la justice civile (…) ? En outre, le parallèle doit également être fait avec la justice administrative qui est, elle, depuis longtemps, dotée de ce types d’outils facilitant le travail à distance et l’échange dématérialisé de pièces de procédure » (Syndicat de la magistrature, 10 juin 2020).
 
 
Des visio-conférences qui ont permis à la justice pénale de continuer à fonctionner.- Pour assurer le contentieux considéré comme prioritaire par les PCA, le syndicat de la magistrature note que « la plupart des audiences correctionnelles qui étaient maintenues se sont tenues par le biais de la visio-conférence, de même que les débats devant le juge des libertés et de la détention, etc. ». En revanche, en matière civile, la procédure sans audience a été privilégiée (Syndicat de la magistrature, 10 juin 2020).
 
Ce même syndicat relève que « de manière générale, les juridictions sont désormais de mieux en mieux dotées en outils permettant de la visio-conférence d’une juridiction à une autre, d’un établissement pénitentiaire à une juridiction ». Situation plus compliquée pour les visio-conférences avec des tiers : « ce qui a manqué pendant le confinement ce sont des outils permettant de réaliser de la visio-conférence avec des justiciables ou des avocats qui ne se trouvaient pas en juridiction et n’utilisaient donc pas le réseau du ministère de la Justice ».
 
Des magistrats qui se sont plaints de dysfonctionnements multiples de la Webconférence de l’État, à telle enseigne que « pour pallier des visioconférences insuffisantes et/ou inopérantes, les magistrats ont eu recours à des logiciels comme Whatsapp pour les prolongations de gardes à vue » note ainsi l’USM (USM, 3 juin 2020). Quand ce n’était pas Skype ou Zoom, ce qui soulève quand même des questions de sécurité et de confidentialité.
 
Raison pour laquelle Paula Forteza réclame l’adoption d’un outil souverain et sécurisé de visioconférence pour l’ensemble de l’administration : « cela devrait être une priorité gouvernementale dans les prochains mois » soutient cette députée.
 
Mais si certains députés, comme Caroline Abadie, se sont montrés favorables aux visio-conférences (« Face à ce constat, accélérons le chantier numérique pour dématérialiser davantage les procédures et développer certains outils comme la visio-audience »), d’autres sont nettement plus critiques. Pour André Chassaigne, par exemple, « le recours aux modes simplifiés, dématérialisés ou dégradés de jugement doit cesser au plus vite (…). Il n’est pas acceptable que les procédures exceptionnelles mises en œuvre par voie d’ordonnances, telles que les visioconférences ou les procédures sans audience, perdurent pour satisfaire des logiques gestionnaires ou des objectifs de diminution des stocks. Le respect des garanties de la procédure doit prévaloir dans l’intérêt du justiciable ». Un débat très loin d’être clos.
 
Côté chiffres, précisons que, avec 2 200 équipements de visioconférence, le ministère de la Justice dispose d’un parc important, qui a permis :
  • jusqu’à 335 connexions en visioconférence simultanées ;
  • à Nicole Belloubet de réunir tous les chefs de cour et de juridiction (220 sur l’ensemble du territoire, y compris les outre-mer).
 
Un nouveau dispositif sécurisé, actuellement en phase de test et développé en collaboration avec la Conseil national des barreaux, devrait par ailleurs être mis en œuvre pour organiser des audiences avec des acteurs extérieurs, avocats, experts, ou encore justiciables.
 
 
Applicatifs métiers :  où en est-on réellement dans le déploiement ?
Le confinement a été, en définitive, un test grandeur nature de la capacité du service public de la justice à fonctionner, même temporairement, en mode 100 % numérique. Certaines réussites sont à noter, même si ce sont davantage les critiques que l’on entend.
 
Rapide mapping des applicatifs métiers du ministère.– En tout, ce sont pas moins de 85 applications qui étaient à disposition des différents métiers de la justice, et pas seulement des magistrats, au moment du confinement. À côté de ces applicatifs, mentionnons également les outils collaboratifs, comme Osmose, Resana, ou encore Tchap, et les accès élargis en raison de la pandémie, à toutes les gestions électroniques de document, qu’elles soient centrales ou locales. Des déploiements dans un calendrier contraint et des conditions d’exercice des informaticiens dégradées par les conditions sanitaires, qui n’auraient pas été possibles sans l’investissement déjà réalisé sur le socle technique.
 
Le maillon fort, la chaîne pénale.– La dématérialisation de la chaîne pénale semble s’en sortir plutôt bien, même si, encore et toujours, le fonctionnement de Cassiopée est dénoncé : « Cassiopée a considérablement compliqué le travail des cabinets d’instruction, dans certains contentieux aucun dossier n’est dématérialisé (application des peines, juge des contentieux de la protection…) » (USM, 4 mai 2020). Des magistrats qui réclament aussi « une vraie signature électronique, un minutage à distance des actes, la contre-signature des greffiers de nos jugements hors débat quand les greffiers manquent » (Syndicat de la magistrature, 10 juin 2020), la signature électronique étant une brique actuellement en cours d’expérimentation (pour faire le point, v. Haffide Boulakras, directeur du programme Procédure pénale numérique : « Le déploiement de la plateforme PLEX a été accéléré pour soutenir les plans de reprise d’activité des juridictions », Actualités du droit, 25 mai 2020). Retenons que de manière générale, les applications pénales importantes sont accessibles en télétravail (CASSIOPEE, MINOS, LMP [VIGIE, BIE, TDEX], ROMEO, GENESIS, APPI, DOT, FPR, TAJ, FNAEG).
 
Les travaux de la procédure pénale numérique, dite PPN, sont très engagés et donnent a priori entière satisfaction sur les deux sites expérimentaux (Blois et Amiens). Des juridictions qui soulignent le maintien d’un haut niveau de production dans des conditions sécurisées et qui offre une valeur juridique probante aux procédures ainsi produites.
 
La PPN vise, en pratique, à autoriser une chaîne de dématérialisation sans rupture et ce, de la constatation de l’infraction à l’archivage de la décision de justice. Le corolaire de cette dématérialisation est la simplification des tâches à faible valeur ajoutée des acteurs de la chaîne pénale (policiers, gendarmes, greffiers et magistrats), avec pour finalité d’alléger considérablement les tâches de ressaisie ou de numérisation.
 
Une réforme organisationnelle importante et loin d’être évidente, en plus de demander un temps d’appropriation qu’il faut absolument simplifier. Les équipes de la direction de programme PPN ont ainsi assisté les juridictions d’Amiens et de Blois pendant une année entière. Pour la Chancellerie, ce déploiement assisté est impératif mais prend un temps incompressible. Une démarche de déploiement nouvelle et parallèle a donc été initiée. En quoi consiste-t-elle ? Concrètement, les outils de la PPN seront mis à disposition de toutes les juridictions de France dès que ces outils ont été validés comme pouvant aider au quotidien et ce, avant même le déploiement des procédures numériques natives. Sont concernées les applications PLEX, PLINE, NOE (outil d’exploitation des procédures numériques), ou encore de nouvelles versions d’applications installées dans le paysage judicaire comme la numérisation de la procédure pénale. Ce que cherche le ministère, c’est mettre à disposition un magasin d’applications, une sorte de store de la PPN. Avec un accompagnement dédié en juridictions.
 
 
Le principal point de faiblesse, la chaîne civile. – En revanche, côté civil, les critiques sont particulièrement affutées. « Le pénal a moins souffert, mais le civil est aux abois », note ainsi Cécile Untermaier. Une faiblesse numérique de la chaîne civile dénoncée par des magistrats, qui déplorent également le peu de transparence sur l’avancée du projet Portalis : « nous n’avons plus d’information sur l’état d’avancement de Portalis depuis des mois, la justice civile fonctionne encore avec le logiciel de traitement de texte WordPerfect, obsolète depuis des années, et avec des logiciels métiers insuffisamment sécurisés pour être utilisés à distance » (USM, 4 mai 2020). Un autre député, Yannick Favennec Becot, s’étonne que « Portalis, le logiciel civil qui aurait pu être nécessaire pendant le confinement, semble perdu dans un abîme administratif ».
 
C’est en effet la quasi-totalité des applications civiles des tribunaux judiciaires, tribunaux de proximité, conseil de prud’hommes, cours d’appel, etc., qui ne sont pas accessibles aux magistrats et personnels de greffe en télétravail. Mais pourquoi cette différence avec le pénal ? Tout simplement parce que la conception ancienne des logiciels et l’existence de bases de données hébergées uniquement dans la juridiction rendent impossible une centralisation sur un portail. C’est précisément l’objectif du, si décrié et à la fois si attendu, projet Portalis (v. infra), qui vise notamment à mettre fin à cet éclatement et à assurer des accès permanents et sécurisés aux données à distance.
 
La procédure civile, le maillon faible de la transformation numérique de la justice. Pour certains magistrats, « Il serait souhaitable (donc) d’améliorer significativement les outils existants pour permettre une dématérialisation complète des chaînes civile et pénale et pour faciliter les échanges de fichiers volumineux avec les avocats et les autres administrations ou interlocuteurs des magistrats (SPIP, experts…) » (USM, 3 juin 2020).
 
 
Un futur applicatif métier bien avancé, mais fort contesté : Datajust
– Datajust, c’est cet algorithme destiné à mettre en place un référentiel indicatif en matière d’indemnisation des dommages corporels. Son objectif : mieux informer professionnels du droit et victimes qu'ils sont amenés à conseiller, sur le montant de la réparation qu’elles sont susceptibles d'obtenir devant les juridictions ;
– méthode inductive : cet algorithme, fondé sur l’intelligence artificielle, tourne sur les données des trois dernières années de jurisprudence des cours administratives et judiciaires ;
– un décret du 27 mars 2020, encadrant le développement pendant deux ans de cet algorithme, avait soulevé une vague de protestation chez les avocats, notamment (D. n° 2020-356, 27 mars 2020, JO 29 mars, v. Algorithme d’État : un décret lance Datajust, instrument de modélisation de l’indemnisation des dommages corporels, Actualités du droit, 30 mars 2020 ; v. également, Datajust : les explications de la ministre de la Justice sur le déploiement de cet algorithme, Actualités du droit, 26 mai 2020).
 

Autrement dit, l’innovation est un chemin délicat entre les attentes opérationnelles des acteurs de la justice et la feuille de route à plus long terme de la Chancellerie.
 
Une direction suivie par le ministère de la Justice, qui rejoint plus largement, d’ailleurs, celle de l’État (rappelons ici les débats autour de deux algorithmes du ministère de l’Économie et des Finances, à savoir « Signaux faibles » et celui sur les aviseurs fiscaux : v. notamment  Stéphanie Schaer, pilote et initiatrice de la start-up d’État « Signaux Faibles » : « L’algorithme de Signaux Faibles peut réellement contribuer à la préservation d’emplois et à la pérennité d’entreprises », Actualités du droit, 10 avr. 2019 et Réseaux sociaux et datamining : des algorithmes vont-ils devenir aviseurs fiscaux ?, Actualités du droit, 1er oct. 2019).
 
 
Et les prochaines étapes ?
« La crise sanitaire a mis en évidence l’apport capital du numérique, mais aussi les voies à suivre pour nous adapter », convient la ministre. Avec des applicatifs qui fonctionnent et qui ont efficacement soutenu le traitement des contentieux : « L’entrée en service de la plateforme PLEX permet la transmission dématérialisée de dossiers volumineux par les avocats. Encore une fois, ces dispositifs ne sont pas à venir : ils fonctionnent maintenant, au moment où je vous parle (…). Depuis mai, le TI de Paris expérimente l’utilisation d’IPWEB pour les injonctions de payer ».
 
Un point concret sur le déploiement de Portalis.–  C’est finalement le gros caillou dans le numérique de la Justice ce programme Portalis. Rappelons en deux mots qu’il s’agit du programme de modernisation de la justice qui s’appuie sur le levier numérique pour transformer ce service public (pour faire un point sur ce sujet, v. Arnaud Mazier, chef de service des SIC (DSI), ministère de la Justice : « Ce que l’on vise, c’est passer en format numérique natif les chaînes de décisions civiles et pénales, Actualités du droit, 22 oct. 2018 ; et Arnaud Mazier, chef du service du numérique du ministère de la Justice : « Justice.fr n’est pas uniquement le portail des justiciables, c’est également une plateforme qui permet d’offrir d’autres services aux administrés », Actualités du droit, 20 janv. 2020).
 
Avec deux objectifs : améliorer la qualité de service pour les usagers et offrir des conditions de travail modernisées pour l’ensemble des professionnels de la justice.
 
La première brique de cet édifice numérique, assez complexe, a consisté dans le portail du justiciable, inauguré par Nicole Belloubet le 27 août 2019. En se connectant à un espace réservé, le justiciable, personne physique, qui y consent, a ainsi accès aux principales informations sur l’état d’avancement de sa procédure civile (documents aujourd’hui adressés par lettre simple ou recommandée, avis, convocations et récépissés). Un site qui lui permet de gérer numériquement les échanges avec la justice et de recevoir des rappels de convocation quelques jours avant son rendez-vous judiciaire.
 
Plusieurs déploiements sont prévus dans le cadre de ce programme d’ici la fin de l’année 2020 :
 
  • suivi de la procédure pénale : il sera opérationnel en juillet, pour être expérimenté en septembre 2020 ;
  • mise à disposition de la saisine en ligne : prévue en mars 2020, elle a été reportée en raison de la crise sanitaire ; elle permettra de saisir en ligne les juridictions pénales (constitution de partie civile) et de suivre l’état d’avancement de sa saisine ; elle devrait être expérimentée sur le ressort de deux cours d’appels (Rouen et Douai) avant généralisation à l’ensemble du territoire en septembre 2020 ;
  • requête numérique pour la procédure JAF hors divorce : elle devrait être mise en ligne dans la foulée.
 
À partir du premier trimestre 2021, l’accent sera mis sur le portail des juridictions, une brique importante sur laquelle repose la loi de programmation et de réforme de la justice et l’ensemble des dispositions du décret de procédure civile de décembre 2019 :
  • procédures devant le conseil des prudhommes (CPH) : c’est la première étape ; expérimenté en beta test sur le dernier trimestre 2020, ce portail sera déployé sur 3 sites pilotes début 2021, puis généralisé auprès des 211 CPH ;
  • le portail des juridictions pour le JAF hors divorce : il sera déployé en sites pilotes puis généralisé au deuxième semestre 2021 ;
  • le portail des juridictions pour le contentieux général du tribunal judiciaire, puis du tribunal de proximité et celui de la cour d’appel seront ensuite déployés.
 
Le paradoxe du numérique de la Justice : un temps long de déploiement, mais des attentes immédiates.– « Le ministère de la Justice est l’un des principaux utilisateurs de moyens numériques, et même le premier s’agissant du réseau privé virtuel, des services de visioconférence, etc. » tient à mettre en avant la garde des Sceaux. « Nous avons beaucoup fait, et la gestion de la crise aurait été bien plus difficile sans ce socle acquis, sans les applications que nous avions déjà développées » insiste encore Nicole Belloubet. Tout en reconnaissant que « ce travail n’est pas achevé ».
 
Une ministre qui justifie son bilan en indiquant que « depuis la promulgation de la loi de réforme pour la justice (…) pas moins de 100 millions d’euros ont été investis pour connecter 1 000 sites judiciaires à la fibre. Si cela n’avait pas existé, les magistrats n’auraient pas pu rédiger leurs jugements et nous n’aurions pas pu tenir l’ensemble des audiences, des visioconférences ou des vidéo-audiences qui se sont déroulées. Cela doit être dit ». Précisons que pour l'année 2020, l’objectif était de 850 sites fibrés. Finalement, ce sont 931 sites qui en bénéficieront (60 %).
 
Le chantier de transformation numérique était pour le moins vaste (infrastructures, équipements, applicatifs, etc.) ce qui justifiait que la loi de programmation pour la justice de 2018 dresse un horizon à 5 ans. Mais la crise sanitaire a exacerbé aussi bien les failles que les attentes. Avec finalement deux requêtes principales : transparence sur le déploiement et l’emploi des ressources et accélération de la transformation numérique.
Source : Actualités du droit